EMOND Stephen - Entre toi et moi

Entre toi et moi
Stephen Emond

Albin Michel Wiz
Sortie le 1er février 2013

Chaque hiver, Evan, 17 ans, attend avec impatience que Lucy vienne pour Noël. Depuis tout petit, Evan est fasciné par elle, peut-être même encore plus depuis qu’elle a déménagé voilà cinq ans. Cette année, Lucy a changé, son amie d’enfance a les cheveux teints en noir corbeau, elle porte un piercing dans le nez et ne dit plus un mot. Mais derrière Lucy la gothique, Evan est persuadé que se cache toujours la Lucy d’avant. Celle avec laquelle il a inventé et dessiné des années durant la bande dessinée secrète qui raconte leur histoire. Evan veut retrouver cette Lucy-là, pour savoir s’il est encore son ami ou peut devenir son petit ami… Mais est-ce que les contraires peuvent s’attirer ? Et leur amitié peut-elle se transformer en amour ?

Une très jolie histoire qui m’a vraiment emballée, à l’équilibre parfait, ni trop mièvre ni trop sombre, et en même temps très réaliste. Superbe !

Evan et Lucy sont voisins et ont grandi ensemble. Ils sont amis depuis toujours et partagent une passion commune, le dessin, et plus particulièrement la BD. Mais après le divorce de ses parents, Lucy est contrainte d’aller vivre chez sa mère en Georgie. Les deux adolescents ne se voient donc plus qu’au moment des vacances. Un an après son départ, Lucy est ainsi de retour chez son père pour les vacances de Noël. Evan est enchanté de retrouver sa meilleure amie, mais en allant la voir c’est le choc : elle a coupé ses cheveux, se maquille en gothique et a adopté une attitude taciturne qui ne lui ressemble pas. Pire encore, elle semble perpétuellement en colère et lunatique. Evan ne sait plus comment lui parler, d’autant que Lucy refuse de se dévoiler. Jusqu’à ce jour de Noël où ils échangent un sublime baiser. Pour Evan tout est réglé et il pense avoir retrouvé sa Lucy mais c’est loin d’être le cas…

Le roman se découpe en deux parties, l’une contée du point de vue de Evan et l’autre de Lucy, mais à chaque fois à la 3e personne. Du coup, dans la première partie, nous sommes un peu comme Evan et nous ne comprennons pas ce qui arrive à Lucy. Dès le début de la seconde partie par contre tout est révélé et c’est un véritable crève cœur de la voir souffrir à ce point et de ne pas savoir comment aborder les choses avec son meilleur ami, le seul être qui compte vraiment dans sa vie. Pour donner encore plus d’identité à chacune des deux parties, tous les chapitres écrits du point de vue d’Evan portent pour titre une chanson des Beatles, son groupe préféré, tandis que ceux de Lucy débutent par une chanson des Beach Boys, qu’elle préfère.

Mais ce qui caractérise avant tout le roman c’est qu’il est parsemé à quasiment chaque page de dessins et d’extraits de BD réalisés par Evan et Lucy, des images qui illustrent le texte. En vrais fans de fantasy, ils ont imaginé enfants un monde qui leur serait propre, leur univers dans lequel tout est possible et dans lequel ils se complètent : Aelysthia. Au retour de Lucy, ce sont les seuls moments où ils retrouvent leur complicité d’antant ; quand ils créent ensemble des planches de BD et que l’un à la suite de l’autre ils créent des cases. Les dessins sont sublimes mais j’avoue y être restée assez hermétiques n’étant pas très friande de BD. Mais elles servent parfaitement le texte, tant dans l’idée (c’est ainsi qu’ils s’épanouissent) que dans l’image.


Leur histoire est sublime et passionnante à suivre. Ils ont chacun leur caractère et pourtant s’entendent à la perfection. Evan vient d’une famille unie et traditionnelle. Il est posé, sérieux, consciencieux et très engagé dans diverses actions. Il veut avant tout contenter sa famille, et donc aller à la fac et faire une grande carrière. Même si cela va à l’encontre de ses rêves secrets : se consacrer à son art, à la BD. Lucy est plus perturbée. Le divorce de ses parents, leur non-investissement dans son éducation, l’ont rendu plus solitaire, plus méfiante des relations humaines. Son éloignement de son environnement ainsi que d’autres circonstances l’ont poussé à faire des choses qu’elle n’aurait jamais faites en temps normal. Et c’est en revenant auprès d’Evan qu’elle se rend compte véritablement à quel point elle a dévié, à quel point elle s’est perdue. Evan représente son ancre, son élément de stabilité dans le chaos qu’est devenu sa vie. Mais il ne le sait pas, n’en a pas conscience. Il se contente de continuer à mener sa petite barque, à faire de son mieux pour contenter tout le monde. Il est profondément bon et altruiste et Lucy se refuse à gâcher sa vie en s’y insérant, elle et ses problèmes… Mais c’est à Evan de faire ce choix…

Sous couvert d’une histoire d’amitié qui se transforme en histoire d’amour, des thèmes très profonds sont évoqués, et de façon intelligente. Il est question avant tout du passage de l’adolescence à l’âge adulte, d’apprendre à grandir, à se trouver indépendamment de ce que nos proches veulent pour nous. La famille également est au centre du roman. Ses choix et les conséquences sur l’enfant. Et enfin évidemment, on a une vraie réflexion sur l’amitié et l’amour.

Un roman donc très original qui m’a enchanté !

Quelques citations qui donnent le ton :

« Que l’histoire se poursuive au-delà ou se termine sur le champ, elle voulait la faire durer, sous une forme ou une autre. Et l’art était la meilleure forme possible. Faire vivre leur histoire dans leurs tatouages, dans leur BD, dans Aelysthia. Ces planches étaient leur œuvre commune ; c’étaient leurs idées et leurs personnalités exprimées en quelques grandes cases bouffonnes. »

« -On aurait pu grandir ensemble. Je veux dire, c’est ce qu’on a fait. On a grandi ensemble.
Lucy regardait par terre, cachée derrière ses cheveux.
-Ce n’est pas la même chose. Toi, tu parles de « se compléter l’un l’autre », et je déteste ça. Ce sont des conneries pour comédie romantiques hollywoodienne. On ne se complète pas, les gens ne font pas ça. On en fait que souligner les manques. On est juste deux personnes incomplètes. »