ROUAUD Antoine - LE LIVRE ET L'EPEE - Tome 1 : La Voie de la Colère

La Voie de la Colère
Antoine Rouaud

Sortie GF le 31 octobre 2013
Sortie format poche chez Milady le 23 janvier 2015

Quatrième de couverture :

Le général Dun-Cadal fut le plus grand héros de l’Empire, mais il n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même, une lamentable épave au fin fond d’une taverne.
C’est là qu’une jeune historienne vient le trouver. Elle est à la recherche de l’Épée de l’Empereur, disparue dans le chaos des derniers jours de son règne, et que Dun-Cadal aurait cachée en un lieu secret.
Pour elle, le vieux guerrier va ressasser ses souvenirs de gloire et ses regrets amers, à commencer par sa rencontre avec ce garçon qui lui sauva la vie et fit sa fierté avant qu’ils ne basculent tous deux dans le drame et le tourbillon de l’Histoire.
C’est alors qu’un assassin sans visage se met à frapper au cœur de la République. Les fantômes du passé refont soudain surface, ravivant les anciennes rancœurs et la soif de vengeance d’un homme perdu sur la voie de la colère.

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Cela fait un petit moment déjà que l’on entend parler de ce roman, le premier roman fantasy d’un auteur français qui a ébloui son éditeur mais qui a aussi réussi l’incroyable pari d’être vendu à des éditeurs étrangers avant même sa publication. Du coup, ce mois d’octobre 2013 signe la parution mondiale des Larmes de la Colère, une parution non seulement en français mais aussi en six autres langues. Il a donc bénéficié d’un battage médiatique qui n’a fait que monter la pression et développer les attentes. Et pourtant je ne m’attendais pas à ça, à être autant scotché par le récit, ébloui. C’est un roman brillant, d’une incroyable justesse et particulièrement efficace. C’est grandiose, épique, un vrai page turner que j’ai dévoré en un rien de temps. J’ai plus qu’adoré tout simplement...

An 10 de la République, Masalia. La jeune historienne Viola, accompagnée de son garde du corps Rogant, un Naagas, recherche dans les bas-fonds de la cité portuaire un certain Dun. La rumeur dit en effet qu’il saurait où est caché Eraëd, l’épée légendaire des empereurs. Viola découvre un vieil homme aigri, constamment ivre, avant de comprendre qu’il n’est autre que Dun Cadal, ancien chevalier mythique de l’Empire qui n’a pas accepté la défaite et le changement de régime. Mais Viola comprend rapidement qu’il y a bien plus encore et l’historienne en elle veut connaître le passé et ses hauts faits, en garder la mémoire, en même temps que découvrir l’emplacement d’Eraëd. Et Dun Cadal, tout heureux de pouvoir enfin s’épancher, se met à lui raconter… La révolte qui gronde au sein de l’Empire, la bataille des Salines qui a scellé son destin, la rencontre avec Grenouille, ce jeune adolescent des marais qui lui a sauvé la vie et qui devient son apprenti dans le but de devenir le plus grand des chevaliers, son entraînement, la guerre encore, les trahisons… On assiste dès lors à un va et viens incessant entre le passé et le présent, dans un ballet parfaitement orchestré où les deux périodes se mêlent parfois même au sein d’un même paragraphe en un parallèle de pensées ou de paroles.

Dès la première page, le récit tient en haleine, avec toujours cette volonté de continuer, d’en savoir plus. La plume d’Antoine Rouaud est particulièrement juste et percutante et possède un incroyable pouvoir d’évocation. On vit les évènements, on ressent les émotions et les sensations avec une extraordinaire acuité. Tout est extrêmement visuel. On voit les batailles se dérouler devant nous, les dragons envahir le ciel, Grenouille user du Souffle pour abattre le Dragon Rouge avant de s’effondrer dans les bras de Dun Cadal, on suit les entrainements à leurs côtés… On a le cœur qui bat plus lourdement à l’approche d’une révélation qu’on sent pourtant venir (l’identité de l’assassin des conseillers de la République). Et pour au final rester scotché parce qu’elle se double d’un dévoilement d’identité plus profond auquel on ne s’attendait pas du tout. Un véritable twist qui introduit une seconde partie qui va nous relater les mêmes évènements mais vu d’une autre perspective. Car « comme une pièce à deux faces, il en est de même des évènements ; suivant celui qui vous les rapporte, ils changent du tout au tout. » Avec toujours cette même alternance souvent imperceptible du passé et du présent.

Dun Cadal est le vrai héros de ce premier tome. C’est l’archétype même du vieux chevalier, bourru, attaché à ses traditions, persuadé du bien-fondé de sa mission et de la légitimité de l’empire. Et on l’admire pour ça, pour la force de ses convictions, pour sa Foi, parce que les mots Honneur et Respect ne sont pas de vains mots pour lui. Et pourtant, on sait qu’il se voile la face, qu’il a placé sa fidélité dans un régime corrompu appelé naturellement à disparaître. C’est aussi un homme d’une incroyable force morale, parti de rien, qui a réussi à force de travail et de sacrifices à devenir La main de l’Empereur (son Assassin) avant de passer chevalier et général dans son armée. Voir la fin de l’Empire, assister à la disparition de ceux à qui il tenait de ce pour quoi il combattait l’ont anéanti.
En face de lui, il y a Viola, un pur produit de la République. Fille d’un simple artisan, elle n’aurait jamais pu suivre des études et devenir historienne sous l’Empire. C’est donc à travers elle que l’on appréhende le nouveau régime, ses bienfaits, mais aussi ses travers. Car on découvre assez rapidement que la République qui est née n’est pas celle que le peuple a appelée de tous ses vœux. Elle est corrompue et la jeune femme s’est donc donnée pour mission de la purger de ses éléments nuisibles. Et pour cela, elle a besoin du Livre Sacré et de l’Epée. Et donc de Dun Cadal.
Il y a enfin Grenouille, cet adolescent taciturne et secret que l’on va voir grandir auprès de Dun Cadal, travailler sans relâche pour devenir le plus grand des chevaliers, apprendre à manier l’épée et surtout à maîtriser le Souffle, une sorte de Force. On le découvre à travers les yeux de Dun Cadal, ceux d’un maître fier de son apprenti, et on vient comme lui à éprouver une grande affection pour ce jeune orphelin, en se demandant ce qu’il est advenu de lui.

Le roman parle avant tout de rédemption, celle de deux hommes perdus sur la Voie de la Colère et qui doivent absolument parvenir à s’en défaire pour devenir deux vrais chevaliers, avec toutes leurs valeurs et leurs certitudes. Deux hommes qui doivent se trouver, se pardonner et décider d’œuvrer pour le bien commun, apporter au peuple une véritable libération. Il parle également de grandeur, de destin et de foi, en mettant en parallèle ces deux systèmes que sont l’Empire et la République. Il nous dit que le Destin ne doit pas être imposé mais choisi par les hommes qui doivent en être les seuls maîtres et placer leur foi en l’humanité. C’est donc avant tout une histoire humaine, une histoire universelle, placée dans un contexte de Fantasy. Un contexte d’ailleurs où l’on évolue facilement parce qu’on conserve nos repères et nos références. Grecque avec la ville de Masalia, romaine avec l’Empire et la République, médiévale avec la chevalerie et l’adoubement, pour au final évoluer surtout dans une atmosphère très Renaissance. Masalia fait en effet énormément penser à une Cité italienne de la Renaissance avec son palatio, sa fête des Masques, ses potentats locaux, ses jeux de pouvoirs…

J’ai pu lire qu’avec Le Livre et l’Epée, « un grand monsieur de la Fantasy est né ». Je n’en sais rien, je lis trop peu de fantasy pour juger. Je dirais juste qu’un grand auteur est né, un merveilleux conteur surtout…