Mon avis :Dorsetshire, 1836. Judith Guiltry éprouve le besoin de mettre par écrit l'incroyable aventure survenue l'année précédente alors qu'elle accompagnait son oncle, sir Graham Peacock, en Inde. Scientifique et naturaliste, ce dernier est passionné par la nature et les cultures étrangères et a transmis cette passion à sa nièce, orpheline, qu'il a éduqué. Jude est donc une jeune femme pour le moins non conventionnelle, curieuse, aventureuse, qui n'a pas sa langue dans la poche et qui aime porter des vêtements masculins.
Après une longue traversée, les voici enfin arrivés à Madras chez lady Orpha où ils logent, le temps pour eux d'organiser au mieux leur expédition à l'intérieur des terres. Une nuit, malgré le médicament pris pour lutter contre ses crises de somnambulisme, elle se lève curieusement attirée par une force qui la dépasse. Elle entre dans une cabane décrépite où une vieille lépreuse l'accueille comme si elle l'attendait et lui tend un coffre. Le lendemain matin, contrairement à son habitude, Jude se souvient de tout. Elle ouvre le coffre magnifiquement ciselé et y trouve une profusion de trésors ainsi qu'un parchemin apparemment vierge et une plume de paon. Malgré elle, Jude se surprend à écrire sur le parchemin et un texte apparaît, accompagné d'illustrations. Il s'agit du journal intime de Nur Jahan, célèbre souveraine moghole.
Leur expédition a pour but de les conduire au Rajputana, non seulement pour mener une mission diplomatique auprès du maharaja Devak Madan, mais aussi pour admirer et chasser les tigres et notamment celui qui défraye les chroniques, Shardul, un gigantesque tigre blanc mangeur d'homme. Durant leur périple, Jude est à nouveau la proie de crises de somnambulisme et de cauchemars et surtout, chaque nuit, elle reçoit la visite d'un amant imaginaire qui lui retourne les sens, Assagor. Parvenus au Raijapur, c'est le choc : Jude se rend compte que Devak et Assagor ne sont qu'une seule et même personne....
Nur Jahan Le récit est donc écrit à la première personne par Jude qui nous raconte ses extraordinaires aventures. Elle se confie au lecteur à défaut de pouvoir le faire à un tiers, et c'est surtout un moyen de rendre les choses plus réelles, de se persuader que les événements ont vraiment eu lieu. C'est donc en quelque sorte le journal d'une jeune dame du début du XIXe siècle et Cécilia Correia a fait en sorte qu'on le ressente en empruntant un style fluide mais soutenu, maniéré. Cela peut surprendre au début mais on s'y fait assez rapidement et surtout c'est complètement en phase avec l'histoire. Il n'empêche que l'on est peu habitué aux romances historiques écrites à la première personne et qu'il faut vraiment un temps d'adaptation.
Cette histoire a de multiples facettes. C'est d'abord une relation de voyage, la découverte de l'Inde et ses splendeurs et on en a surtout conscience dans tout le premier tiers du roman. Et c'est juste sublime, on a beau attendre que la belle rencontre enfin son beau maharaja, on n'en reste pas moins charmé par les descriptions, curieux et avides d'en découvrir davantage aux côtés de Jude sur la culture indienne, l'histoire, la faune et la flore, la gastronomie... C'est aussi un conte digne des
Mille et une nuits et du
Livre de la Jungle traversé par la magie et des mystères ancestraux. C'est enfin une magnifique histoire d'amour entre deux jeunes gens que tout oppose au premier abord. D'un côté une jeune Anglaise indépendante habituée à agir à sa guise et qui ne supporte pas qu'on refrène sa curiosité. De l'autre un souverain indien tout puissant habitué à ce que les femmes se plient au bon vouloir des hommes et restent à l'écart du monde. Un gouffre culturel qui entraîne un bon nombre d'incompréhensions de part et d'autre, et surtout une succession de joutes verbales dont on se régale. Pourtant, les règles interdisent à Devak d'épouser une étrangère et on se demande avec curiosité comment leur histoire pourra bien finir. Une fin justement parfaite. Elle clôt à merveille l'intrigue magique du manuscrit de Nur Jahan et du double mystère d'Assagor et Shardul, tout en permettant à nos deux amants de s'aimer en toute impunité...
Une romance que j'ai donc beaucoup aimé sans que cela soit pour autant un coup de cœur. Certains éléments d'intrigue m'ont paru en effet incompréhensibles, trop faciles : quand Jude se rend compte que Devak est Assagor, pas une seule fois il ne lui vient à l'idée de lui demander comment il parvient à accomplir ce prodige (en tout cas pas avant un long moment !) ; et durant la nuit, Jude va souvent aller rejoindre Devak, que ce soit dans sa chambre ou sous sa tente, et elle n'est jamais arrêtée par les nombreux gardes qui sont censés entourés le souverain... Des mystères qui m'ont malgré tout beaucoup interpellés.
Cécilia Correia nous entraîne donc un monde merveilleux et exotique, un monde où plane la magie et le mystère, un écrin parfait pour une romance originale et envoûtante qui nous entraîne hors des sentiers battus...