Walkyrie
Messages : 3358 Date d'inscription : 17/12/2012 Age : 40 Localisation : Sud Clermont
| Sujet: CADWALLADER Robyn - Une autre idée du silence Jeu 29 Oct - 21:20 | |
| Une autre idée du silenceRobyn CADWALLADER Edition Denoël Sortie le 3 septembre 2015 Quatrième de couverture : Angleterre, 1255. À seulement dix-sept ans, Sarah décide de devenir anachorète. Dévouée à Dieu, elle vivra recluse dans une petite cellule mesurant neuf pas sur sept à côté de l’église du village. Fuyant le deuil de sa sœur adorée, morte en couches, et la pression d’un mariage imposé, elle choisit de renoncer au monde – à ses dangers, ses désirs et ses tentations – pour se tourner vers une vie de prière. Mais petit à petit elle comprend que les murs épais de sa cellule ne pourront la protéger du monde extérieur.
Mon avis : Un roman empreint d’une grande pureté, tant sur la thématique religieuse que sur les émotions transmises mais aussi sur l’idéologie véhiculée. Un ouvrage magnifique !
Sarah a dix – sept ans quand elle décide de devenir une recluse. Elle se tourne vers Dieu pour devenir une Sainte femme et décide de s’exiler dans la solitude d’une petite pièce vouée à la prière qui deviendra son dernier lieu de repos. Se repliant sur elle – même pour fuir la vie extérieure, ses malheurs et ses vices, elle prend peu à peu conscience que, malgré sa solitude et sa réclusion, la vie au village mais aussi son passé continuent vivement de la hanter.
Ce livre est surtout une œuvre intimiste qui alpague le lecteur sans avoir réellement d’action ou de dynamisme particulier. On suit donc l’héroïne Sarah, jeune fille d’à peine dix-sept ans qui s’exile dans la croyance et dans la maison de Dieu la plus intime qui soit pour fuir les méandres de sa vie ; la mort de sa jeune sœur, l’insistance d’un prétendant, un père prêt à vendre sa virginité. Sarah se terre dans une vie de prières, enfermée dans une cellule de neuf pas sur sept, une tombe dont elle ne peut sortir vivante. Elle a pour seul contact humain, ses deux servantes, le prêtre de l’église qui l’accueille et son confesseur. Dieu devient son mari, son amant, son seul salut, jour après jour, Sarah lit ses règles de vie de recluse et prie pour protéger le village. Sa présence est une sorte de bénédiction que les villageois tentent de conserver. Elle n’échange qu’avec les femmes du village qu’elle doit conseiller du mieux possible via son parloir ayant l’interdiction de parler aux hommes.
Cette vie de sainte se révèle très difficile, Sarah se perd dans une forme de folie, entend la défunte recluse Agnès enterrée sous ses pieds, les os craquent et grincent dès qu’elle se détourne du droit chemin, de son rôle, les murs épais de son antre murmurent à ses oreilles des conseils chastes, durs et profondément religieux « souffre avec Dieu et il t’aimera davantage », Sarah se punit jusqu’au sang, elle jeûne pour quitter ce corps féminin, cette tentation à la luxure car évidemment à l’époque, « là où la femme était un corps lascif et tentateur, l’homme était l’esprit », « la femme doit obéissance aveugle à son mari », évocation terrible de la place de la femme. Les tentations extérieures sont considérées comme autant de tentations au péché ; les bruits et les odeurs, les souvenirs et les envies affluent… Plus que cela, on vit avec elle tous ces sentiments, émotions, sensations, on ressent les démangeaisons de la paille, l’odeur de l’humidité, le froid des murs en pierre, la rêche couverture qui peine à la protéger du froid ambiant, la rigidité du lit, et pire parfois les doigts froids et morts de la défunte recluse qui hante les lieux mais aussi la chaleur du feu de cheminée, les caresses du chat, on entend les oisillons qui éclatent leurs coquilles, on sent les odeurs musquées venant du village, les joies festives et musicales du peuple. Très vite, la santé de la jeune femme ne suivra plus et de là une sorte de renaissance s’opère. Sarah accepte ses idées, écoute avec attention les confessions des femmes du village, des femmes aux vies difficiles, qui cherche une écoute, une amie, une grande sœur… réfléchit, comprend beaucoup de choses et n’hésite plus à en faire part à son confesseur, quitte d’ailleurs à choquer.
Il y a donc une grande part de féminisme dans le personnage de Sarah, une femme profondément humaine, malgré son statut de sainte femme vivant plus que simplement, Sarah c’est surtout une icône d’idéologie forte et intelligente et on suit avec beaucoup d’intérêt son influence sur l’extérieur de là où elle se trouve. Elle offre une modernité de la pensée pour l’époque. La religion a bien évidemment une place très importante dans ce récit : la prière, les fêtes religieuses, le prieuré, l’église, le reclusoir, la sainteté… Autant d’évocations vertueuses et rigides de la thématique principale du roman. Mais il n’y a pas que cela, on a également une peinture de la vie moyenâgeuse de l’époque, de la féodalité, du pouvoir du Seigneur exercé sur les habitants du village qu’il gère, peinture malheureusement pas toujours très reluisante et optimiste.
On suit également le Père Ranaulf, ce copiste voué corps et âme à son rôle dans l’église, subit la pression du prieuré sur la rentabilité du scriptorium qu’il tente de créer dans ce petit coin de l’Angleterre. Il ne s’est quasiment jamais entretenu avec une femme, aussi quand le père Peter, âgé et malade ne peut plus assurer les confession de la Recluse, le jeune prêtre est désigné pour le remplacer. Son rôle est important, aider la recluse, la conseiller, l’orienter, l’écouter, Ranaulf est dès le début mal à l’aise avec ce rôle qui le rapproche de la femme et pendant un certain temps ne sera pas d’une grande aide pour elle. Pourtant, au fur et à mesure des échanges, l’intelligence de Sarah et ses interrogations sur la vie villageoise, le détourneront peu à peu de son rôle et de ses idées arrêtées, il en viendra à vouloir la protéger de certaines conséquences possibles de ses actes et de ses erreurs, se renseignera sur une ancienne recluse, Soeur Isabella ayant fui le reclusoir mais aussi sur les manigances du seigneur sur les terres des villageois. Un personnage terriblement bon sous ses airs taciturnes et bourrus.
L’auteure a part ailleurs un style très élégant et sait parfaitement créer une intimité entre ses personnages et le lecteur, difficile de ne pas s’imaginer à la place de Sarah, de compatir et de souffrir, mais surtout l’auteure dépeint avec intelligence la religion de l’époque. Sur la base d’une histoire choquante, comment imaginer cette vie de recluse, d’anachorète dans cette tombe vivante ?, elle offre un ouvrage très pur, très doux, elle ne force pas les choses, les mots coulent avec harmonie et l’on dévore cette histoire captivante et pleine de poésie. Ajoutons que la couverture est particulièrement soignée, superbe même et le regard de la jeune fille donne parfaitement le ton, un joli visage qui s’effrite achève de refléter parfaitement le roman.
En bref, un roman à la fois dépaysant, magique, sombre et plein de réflexions, l’aura chaleureuse et silencieuse de Sarah vous enveloppe dès les premières pages pour ne vous lâcher qu’à la fin. C’est simple, intime mais tellement efficace ! Un vrai bijou !
Je remercie babelio et les éditions Denoël pour ce partenariat fantastique. | |
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