Mon avis :
Des mensonges nécessaires, de Diane Chamberlain, est une jolie surprise. Ce roman, qui nous emmène en Caroline du Nord (un État du sud des États-Unis) dans les années 1960, nous raconte le double combat de son héroïne, Jane Forrester, dans une société américaine encore profondément raciste et machiste.
En effet, depuis qu’elle est mariée à Robert, un respectable pédiatre, Jane déchante un peu… Son esprit libre et son caractère entêté, que Robert trouvait si charmants avant qu’ils ne convolent en justes noces, semblent désormais lui poser problème. Il souhaite la contenir à un rôle d’épouse aimante, et voit donc d’un mauvais œil son désir saugrenu de travailler. Mais celle-ci est décidée à ne pas se laisser faire. En dépit de son époux et du jugement de la société, elle décroche un emploi d’assistante sociale et va devoir se battre pour assumer de front son travail et son rôle de maîtresse de maison. Mais en se retrouvant en charge du dossier d’Ivy Hart, une jeune fille de 15 ans dont la famille, qui vit sur une plantation de tabac, dépend de l’aide sociale, Jane va également découvrir les pratiques discutables des services sociaux de Caroline du Nord et va devoir mener de front un second combat…
Sachez en effet que de 1929 à 1975, la Caroline du Nord a mené un programme de stérilisation eugénique visant les déficients mentaux, les faibles d’esprit et plus largement les personnes dont la stérilisation était considérée comme relevant de l’intérêt général. En 1960, ce sont surtout les femmes dépendantes de l’aide sociale qui sont visées, et les travailleurs sociaux comme Jane ont le pouvoir de solliciter par requête auprès de l’État leur opération… Ce programme a ainsi conduit à de très nombreuses stérilisations inutiles et forcées, et serait aujourd’hui considéré comme un crime contre l’humanité.
C’est donc cet état de fait que découvre Jane lorsqu’elle se voit contrainte par le système de demander la stérilisation de la jeune Ivy, sans même l’en informer au préalable. La force du roman tient d’ailleurs dans le fait que Jane ne se révolte pas de but en blanc. Si dès le départ elle est en proie au doute, autour d’elle, qu’il s’agisse de ses collègues, de ses amis ou de son mari, tous justifient aisément ce programme : « c’est pour leur bien », « ils ne seraient pas capables de subvenir aux besoins de leurs enfants », « ils vivent déjà aux crochets de l’État »… Ces gens ne sont d’ailleurs pas présentés comme des êtres humains sans cœur, mais simplement comme des personnes profondément imprégnées des jugements moraux de leur époque. L’auteure nous montre ainsi l’incroyable force de caractère nécessaire à Jane pour lentement dépasser et finalement braver les conventions sociales et la pensée dominante de toute une société. Une leçon qui, je pense, est plus que jamais d’actualité.
Avec ce beau roman, Diane Chamberlain nous propose donc à travers la description sans concession d’une société et de son époque une histoire émouvante, mais racontée sans pathos, réaliste et extrêmement bien documentée. Elle nous offre également, avec Jane et Ivy, deux très belles figures féminines, deux héroïnes ordinaires.