Mon avis : Enorme coup de cœur, véritable coup de foudre pour ce roman à nul autre pareil. Sophie Jomain m’a complètement soufflée, retournée dans tous les sens et mon oreiller trempé s’en souvient encore.
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Quand la nuit devient jour, Sophie Jomain ose aborder deux grands tabous de notre société : la dépression et le suicide assisté. Et elle le fait de manière magistrale, sans juger, jamais, en proposant au lecteur, à travers une magnifique histoire, tous les points de vue qui, au final, portent tous une part de légitimité. C’est juste brillant et incroyablement émouvant.
« On m’a demandé un jour de définir ma douleur. Je sais dire ce que je ressens lorsque je m’enfonce une épine dans le pied, décrire l’échauffement d’une brûlure, parler des noeuds dans mon estomac quand j’ai trop mangé, de l’élancement lancinant d’une carie, mais je suis incapable d’expliquer ce qui me ronge de l’intérieur et qui me fait mal au-delà de toute souffrance que je connais déjà.
La dépression.
Ma faiblesse.
Le combat que je mène contre moi-même est sans fin, et personne n’est en mesure de m’aider. Dieu, la science, la médecine, même l’amour des miens a échoué. Ils m’ont perdue. Sans doute depuis le début.
J’ai 29 ans, je m’appelle Camille, je suis franco-belge, et je vais mourir dans trois mois.
Le 6 avril 2016.
Par euthanasie volontaire assistée. »
La quatrième de couverture, parfaite, donne le ton. Camille nous raconte son histoire. Elle commence par nous décrire de façon succincte ce que fut sa vie jusqu’à ce moment fatidique où elle a pris la décision de demander de l’aide pour mourir. Une dépression sévère depuis l’enfance, une suite ininterrompue de crises de boulimie et d’anorexie, des visites chez plusieurs psys, des internements, des tentatives de suicide ratées… Camille a 29 ans et elle n’en peut plus. Elle est épuisée, physiquement, mentalement, nerveusement, et elle n’aspire qu’au repos éternel que seule la mort pourra lui apporter.
Dans son malheur, Camille possède la chance incroyable d’être Belge par son père et donc de pouvoir demander à être euthanasiée. Grâce à l’ADMD, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, et après une batterie d’examens et de rendez-vous, la demande de Camille est acceptée : dans trois mois, elle mourra.
Ce sont essentiellement ces trois mois qui sont narrés dans le roman. Trois mois passés à la Clinique médico-psychiatrique du Parc, là où elle va mourir…
« Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l’illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable. »
Ce n’est pas une histoire qui se raconte, elle doit se lire, se vivre à travers la lecture, faire sien toutes les réflexions, toutes les émotions, peser le pour et le contre, changer d’avis un millier de fois, essayer de comprendre, désespérer, espérer, pleurer.
Camille est fille unique au sein d’une famille aimante et équilibrée. Ici, nul traumatisme grave dans son enfance, nul événement tragique qui pourrait tout expliquer. Ce serait trop facile. Car la dépression ne s’explique pas et c’est là tout le problème. Elle est une maladie qui n’a pas encore été reconnue comme telle, qu’on tend à minimiser ou à nier. Malgré nous on ne peut s’empêcher de culpabiliser Camille, de se dire que si elle avait eu suffisamment de force de caractère, elle serait parvenue à surmonter tout ça. Des arguments qui sont bien présents dans le roman mais qui ne réussissent pas à contrebalancer la souffrance réelle de la jeune femme. Et tout comme son entourage, nous sommes parfois perdus. On essaye de comprendre, de ne pas juger, d’accepter mais c’est très difficile et ça le reste jusqu’au bout.
« J’ai peur.
Ce n’est pas la perspective de mourir qui m’effraie, je sais, en mon âme et conscience, que j’ai pris la bonne décision. Ce qui me broie les entrailles, c’est la réaction de mes parents lorsque je leur aurai annoncé que leur fille unique s’éteindra dans à peine plus de trois mois et que rien ni personne ne pourra l’empêcher de mourir. Je ne peux plus repousser l’échéance, garder le secret plus longtemps. »
« Ce n’est pas votre faute. Ce n’est pas vous le problème, c’est moi. Vous n’avez rien à vous reprocher. »
« Camille… Je ne connais pas ta souffrance ni ce qui te ronge et te brûle au point de vouloir en finir, mais ne laisse jamais personne décider à ta place. Jamais. Même pas par amour. »
A la clinique, Camille est suivie par un nouveau docteur, Marc Peeters, qui lui annonce tout de go qu’il n’est pas là pour la faire changer d’avis tout simplement parce qu’il sait qu’il ne ressent pas ses souffrances et qu’il ne peut donc ni se mettre à sa place ni la juger. Il est juste là pour accompagner du mieux possible ses derniers mois. Pour la première fois, Camille se sent comprise, écoutée, aidée. Pour la première fois, un médecin met des mots sur sa souffrance et son désir d'y mettre fin. Alors même que lui célèbre la vie et craint la mort.
« C’est vous qui êtes ici pour mourir, mademoiselle Duclercq, pas moi. Je reconnais donc en toute humilité être dans l’incapacité de vous faire exprimer des sentiments que je n’ai jamais éprouvés et qui m’échappent en partie. C’est la raison pour laquelle c’est vous qui parlerez, et de ce que vous souhaitez. »
On ne peut s'empêcher de se dire que si elle avait rencontré un Marc Peeters plus tôt les choses auraient été différentes. Et on se demande aussi si elles le sont maintenant. Elle est plus heureuse que jamais alors peut être lui redonnera-t-il l'envie de vivre. Et pourtant, contrairement à nous, pas une seule fois Camille ne doute. Parce que sa mort sera une vraie libération, un soulagement, la fin de ses souffrances, de sa non-vie.
Ce roman c’est une succession de scènes parfaites, le rendez-vous avec ses parents chez le Docteur Peeters, les discussions avec la tante Marthe, les huitres, LA scène avec Marc, le changement inattendu de point de vue… Tout est parfait et surtout tellement juste…
C'est donc un très grand roman que signe ici Sophie Jomain, un roman coup de poing à ne manquer sous aucun prétexte !