Charles Duits - Ptah Hotep

Romancier, poète et peintre, Charles Duits (1925-1991) est l’un des écrivains francophones les plus singuliers du 20ème siècle. Inclassable, même s’il fut proche des surréalistes et ami d’André Breton (qu’il rencontra à New-York pendant la seconde guerre mondiale), il fut, à la fois, un mystique en quête de l’illumination (le dernier grand poète « voyant » au sens énoncé par Victor Hugo) et un arpenteur des espaces intérieurs s’appuyant, à l’instar d’Henri Michaux, sur la mescaline pour lui ouvrir le chemin des visions.

Il a écrit deux romans rattachés (tant bien que mal car ils sont en fait inclassables) au genre de l’héroïc-fantasy, intitulés « Nefer » et « Ptah Hotep », qui sont ses œuvres les plus connues même si elles ne reflètent pas pleinement son style d’écriture qui, ici, s’apparente à celle des grands textes mystiques. Il ne fait pour moi aucun doute que Charles Duits est de l’étoffe des hommes qui, il y a plus de 2000 ans, écrivirent « Le cantique des cantiques ».

L’univers de Ptah Hotep est à la fois étrange et familier, comme une ombre portée du nôtre sur l’altérité d’un ailleurs lointain. Sur une planète autour de laquelle gravitent deux lunes, peuplée d’êtres humains multicolores (certains ont la peau bleue), Charles Duits convoque toutes les mythologies des grandes civilisations antiques (Rome, Egypte, Inde, Perse, peuples celtes) et les brasse de manière syncrétique pour immerger son lecteur dans une histoire, pleine de fureur et de passion, aux accents légendaires hantés par l’amour et la mort. L’écriture est splendide mais elle peut décontenancer car elle est pleine de maniérismes (notamment des comparaisons et des répétitions) qui visent à épouser la scansion et le souffle des grands textes antiques. Mais si vous êtes réceptifs à cette écriture, il vous sera difficile de vous en détacher, même pour aller dormir ! Pour moi, la lecture de "Ptah Hotep" fut une expérience exaltante d'immersion dans un monde chatoyant, cruel et grandiose, où le destin des hommes et la volonté des dieux sont étroitement imbriqués. Et où les femmes jouent un rôle essentiel…

Le livre se présente sous la forme d’un long récit aventureux, qui se révèle peu à peu être une quête d’initiation à la sagesse. Ptah Hotep, fils de Ptah Lucinius le Victorieux, est un jeune prince étudiant dans la grande ville d'Hagapath où il jouit avec insouciance des plaisirs de la vie que lui procure la richesse familiale. Il est amoureux d'Aset, une courtisane affranchie. Que dire pour vous donner envie de vous plonger dans ce récit sans trop en dévoiler l’intrigue ? Après la mort de son père, Ptah Hotep sera victime d’une tentative d’assassinat et fuira pour tenter de rejoindre l’empereur et déjouer un complot menaçant l’empire. Ce faisant, en subissant les évènements plus qu’il ne les maîtrise, son cœur et son intelligence vont évoluer, s’élargir et, comprenant la vanité de la gloire illusoire des conquêtes militaires et politiques, s’ouvrir à des vertus de compréhension, de renoncement et de partage. Les femmes, qui parfois y perdront la vie, jouent un rôle essentiel dans cette progression. L’errance de Ptah Hotep n’est pas seulement géographique ; elle est aussi amoureuse et sensuelle. En fait, le récit est la réalisation d'un destin messianique qui s'accomplit malgré la volonté du héros, jeune homme dépassé par une destinée qui s'accomplit inexorablement par l’action des femmes dont les noms chapitrent le roman.

Que dire d’autre ? Outre la magnificence du style, je veux souligner la cohérence et la densité de présence de cet univers, où la magie n’est pas totalement absente (sous forme de divination), ainsi que la profondeur psychologique de tous les personnages, êtres de chair et de sang mus par des motivations conscientes et inconscientes (y compris sexuelles), qui n’a quasiment pas d'équivalent dans le genre. La tension du récit et l'écriture de Charles Duits, parfois flamboyante et épique, parfois intimiste et poignante dans l’expression des sentiments et des désirs, emporte le lecteur, qui peut difficilement faire autre chose que s'asseoir ou s’allonger, et lire et lire jusqu'à la page finale, comme sous transe… J’ai d’ailleurs lu que Charles Duits écrivit "Ptah Hotep" d’un seul jet, dans un état proche de la transe, comme sous la dictée d'une voix intérieure. Ce qui est hallucinant tant la cohérence du récit et l’écriture sont parfaites !