Invité Invité
| Sujet: FAIVRE D'ARCIER Jeanne - Interview Dim 19 Fév - 22:26 | |
| Voici donc une interview exclusive de Jeanne Faivre D'arcier que nous avons pu réaliser. Merci beaucoup à elle! 1 : Pouvez vous présenter votre parcours à nos lecteurs ? Et comment en êtes vous arrivée à l'écriture? Comme pas mal de gens qui commencent à écrire, j’ai rédigé des textes qui visaient à dénouer des problèmes familiaux. Cette démarche a ensuite débouché sur une psychanalyse. En parallèle, j’écrivais des choses qui étaient à mi chemin entre l’autofiction et le polar. Ces romans n’ont pas trouvé preneur car leur but était mal défini et ils ne fonctionnaient pas. J’ai cessé d’écrire, je me suis investie dans mon métier, le recrutement de cadres de haut niveau pour la santé, les produits de luxe et la mode. Ce n’est qu’après avoir terminé mon analyse que j’ai pu passer à la fiction pure : j’avais enfin cessé de m’intéresser à moi même, il m’était possible de me plonger dans la création ! Il faut dire aussi que mon mari, rencontré en 1988, Christian Garraud, qui dirigeait alors le Fleuve Noir, m’a mise sur les rails. Il a compris que je ne devais pas apparaître dans mes récits, qu’il fallait que je me cache derrière des masques pour libérer mon imagination. Il m’a fait lire les grands maîtres de la terreur anglo saxonne : King, Masterton, Straub, Dan Simmon, Thomas Harris, Dean Koontz, etc. Immédiatement ce genre m’a parlé. Et c’est la lecture d’Anne Rice qui m’a donné le déclic : le vampire m’a intéressée car je me suis dit qu’en le retournant, en le transformant en héros positif, on avait un personnage fort, maître du temps (il est immortel) et de l’espace (il se déplace très rapidement) auquel on pouvait accrocher des histoires fortes. Je me suis lancée dans la rédaction de « Rouge Flamenco », livre publié en 1993. Comme j’avais annoncé une trilogie, j’ai bâti dans la foulée l’architecture de » La Déesse Ecarlate. » L’ouvrage a été publié en 1997, avec encore plus de succès que le premier. Ensuite, j’ai calé. J’avais passé cinq ans à tourner et retourner en tous sens le mythe du vampire, j’en avais par-dessus la tête du baiser fatal, des morsures, de la séduction mystérieuse de l’Immortel, du regard de braise qui fait défaillir la malheureuse victime humaine, etc. Ouf ! ça me donnait le tournis ! J’avais peur de m’ennuyer, je me suis orientée vers autre chose. Je suis passée par la case « roman historique ». De manière fortuite : au cours d’un voyage à Tunis, des amis m’ont raconté l’histoire de Habiba Messika, une chanteuse et actrice juive des années vingt, brûlée vive par un amant qu’elle avait délaissé. Cette femme était très célèbre, elle a compté autant que la grande Oum Kalsoum. Ce destin était tellement tragique que j’ai aussitôt éprouvé le désir de faire revivre cette chanteuse. J’ai vécu deux ans dans son souvenir. J’ai aussi beaucoup appris sur le théâtre arabe et la musique arabo andalouse pour écrire cette biographie romancée qui est sortie chez Belfond en 1997. Le bouquin a bien marché en Tunisie, mais je n’ai pas eu envie de poursuivre dans la veine du roman historique. C’est contraignant car il faut respecter la vérité des faits, cela bride trop l’imagination, selon moi. Après un autre roman fantastique, inspiré des grands mythes mongols, qui a été publié dans une totale indifférence à l’Atalante, je me suis mise au roman noir. C’était mon ambition de départ, lorsque j’ai commencé à écrire aux alentours de trente ans. Et là, ça a bien marché tout de suite, comme pour mes histoires de vampires. J’ai donc publié cinq polars, pour adultes et enfants, chez des éditeurs différents. Quatre d’entre eux se déroulent sur le bassin d’Arcachon où je vis les deux tiers de l’année et où j’ai un lectorat fidèle qui me suit d’un livre à l’autre. L’envie de faire le troisième volet de ma trilogie vampirique (qui aura peut-être une suite ) est revenue me titiller. Et j’ai écrit « Le Dernier vampire » qui est une synthèse de ce que je sais faire : c’est un polar fantastique avec une solide trame historique.
2 : D'où avez vous puiser l'idée de départ de votre trilogie, dont le Dernier vampire est la conclusion? Par ailleurs pourquoi finir par un Héros homme sachant que les deux premiers opus étaient consacrés à des personnages féminins? Pour « Rouge Flamenco », j’ai d’emblée décidé que mon personnage de vampire serait une femme. J’en ai fait une danseuse de flamenco en référence au livre de P. Mérimée, « Carmen ». Le personnage décrit dans le roman incarne parfaitement la femme fatale : un livre ne fonctionne bien que s’il est bâti sur un mythe puissant. Par ailleurs, le lien avec le roman de Mérimée permettait d’incruster des scènes qui se passent à Séville, vers 1840, époque où se déroule l’histoire, et d’autres en Algérie à la période de la conquête française : Carmilla, l’héroïne, est transformée en vampire dans un bordel d’Alger et rencontre peu après des Gitans qui l’emmènent en Espagne. Le berceau des Roms est l’Inde. J’ai donc fait entrer en scène une deuxième femme vampire, Mâra, que Carmilla rencontre à Constantinople. A ce stade de la rédaction, je me suis aperçue, en feuilletant un dictionnaire de l’hindouisme, que Mâra est le prince des Démons dans les légendes hindouistes. Et que ce nom que j’avais choisi parce qu’il sonnait bien et qu’il m’évoquait le Marat de la Révolution Française, signifie en sanskrit « le boucher, le tueur ». La coïncidence était extraordinaire ! Elle m’a décidé à centrer le deuxième tome de ma trilogie sur Mâra et à m’inspirer des légendes hindouistes qui, indépendamment de leur aspect religieux, peuvent s’appréhender comme des bandes dessinées ou des contes pour enfants. Elles sont drôles, cruelles et font largement appel au merveilleux. Elles se prêtent parfaitement au détournement vers un récit fantastique. Il y a d’ailleurs des vampires dans la religion hindouiste. On les nomme les vetala, ils n’ont pas de corps, ce sont de purs esprits, des petits fantômes qui se nourrissent de l’âme des gens méchants. Bref, je me suis bien amusée en surfilant mes histoires sur la trame des mythes hindouistes. Dans « la Déesse Ecarlate », Mâra est l’équivalent pour les vampires de la Déesse Kali, la déesse de la mort et des charniers. Mâra est la mère de tous les vampires et l’alliée du prince des démons qui l’a métamorphosée en Immortelle. N’ayant rien trouvé d’aussi porteur que le mythe de Carmen et les légendes hindouistes, j’ai remis à plus tard l’écriture du troisième volet et je me suis tournée vers le roman noir. C’est la lecture d’ouvrages sur Révolution française, période sombre, mouvementée et tragique s’il en est, qui m’a donné l’idée du « Dernier Vampire », il y a quelques années. Je voulais opérer une rupture avec la thématique des deux premiers livres : ils sont « exotiques « et reposent sur le détournement d’un mythe. Pour le troisième roman, j’ai donc volontairement opéré un recentrage sur la scène française et sur un héros masculin. J’en ai fait un acteur et un témoin d’un moment très particulier et peu connu de la Terreur : la séquence qui court de septembre 1792 à juin 1793 et pendant laquelle se déroule la lutte acharnée entre les Girondins au pouvoir et les Montagnards. Ces derniers leur reprochent d’avoir poussé le pays à entrer en guerre contre les monarchies étrangères à un moment où la France est au bord de la ruine. Les Girondins, balayés par les Montagnards et la Commune de Paris, se suicident, sont emprisonnés ou exécutés par leurs rivaux. La chute des Girondins a peu été utilisée dans la littérature depuis Lamartine. Je tenais donc là un sujet original. Mon héros, un avocat bordelais propulsé sur la scène politique parisienne lorsqu’il est élu à la Convention, est assailli par des vampires dans une salle de jeux du Palais Royal. On le retrouve de nos jours, délirant, paranoïaque et hanté pat la politique, opérant des comparaisons plus ou moins pertinentes entre la Terreur et la période actuelle... Comme j’adore les romans noirs, j’ai installé un duel entre Donnadieu, mon vampire, et un groupe de flics de la brigade criminelle qui pensent tout d’abord traquer un meurtrier en série ciblant systématiquement des chercheurs en hématologie. Les policiers finissent, après bien des déconvenues, par admettre qu’ils ont à faire à un vampire. Je tenais à faire courir ce fil noir pour accentuer le suspense et la tension dans le récit. Je l’ai conçu comme un thriller psychologique : le lecteur ne découvre que très progressivement la personnalité du héros ; son identité véritable ne lui est d’ailleurs révélée qu’au dernier chapitre.
3 : Que ressentez vous quand on vous proclame la "Anne Rice française "? J’éprouve évidemment une très grande fierté lorsque l’on dit de moi que je suis la « Anne Rice » française. C’est très flatteur puisque ses livres ont fait le tour du monde ! Je préciserai toutefois que j’ai conçu « Le Dernier Vampire » comme un classique du genre, ayant beaucoup plus à voir avec le Dracula de Bram Stoker et celui de Coppola au cinéma qu’avec les livres d’Anne Rice. Les clins d’oeil à Bram Stoker sont patents : quand leur enquête patauge, les flics de la Crime se mettent à relire « Dracula » pour essayer de cerner la psychologie de leur adversaire. Et Donnadieu, fuyant Paris où il est traqué par ses ennemis politiques, gagne la Bretagne, s’embarque clandestinement à bord d’un bateau de pêche et regagne ainsi sa ville natale, où comme à Paris, la lutte entre les Montagnards et les Girondins fait rage. Lorsque j’écrivais cette fuite échevelée de Donnadieu vers la Gironde, j’avais en mémoire la séquence du film de Coppola où l’on voit Dracula quitter Londres par la mer pour tenter de se réfugier dans son château en Transylvanie avant que ses ennemis ne le rattrapent. Ce qui est étonnant, c’est que cette fuite d’un groupe de Girondins de Paris à Bordeaux s’est précisément déroulée de cette manière en juin /juillet 93. Ils ont voyagé à bord d’un voilier qui les a déposés dans le port de Bordeaux et ils se sont terrés misérablement dans des caves pendant des mois avant d’être repris par les Montagnards et guillotinés.
4 : La Bit-Lit est le phénomène en vogue aujourd'hui, que pensez vous de ce type de littérature et de cet engouement tant cinématographique que littéraire pour des créatures à "Crocs"? Et quel est votre type de lecture de prédilection ? Je connais assez mal la Bit-Lit car j’ai le sentiment de venir d’ailleurs. Question de génération, sans doute. Mon attirance pour la littérature fantastique est surtout liée à la lecture, à vingt ans, d’Edgard Poe, de Lovecraft, Marie Shelley, du « Horla » de Maupassant, de Gaston Leroux ou de « La Métamorphose » de Kafka. Comme je le disais précédemment, j’ai ensuite, des années plus tard, beaucoup pratiqué les grands maîtres de la Terreur anglo-saxonne. Entre temps, j’ai largement balayé le roman noir, des classiques du « hard-boiled »américain des années vingt et trente, aux Scandinaves qui tiennent actuellement le haut du pavé avec Stieg Larsson, Henning Mankell ou Arnaldur Indridason, en passant par les maîtres français du genre ( Mallet, Simenon, les auteurs du Fleuve Noir de la grande époque ) ou les papesses anglo-américaines du genre comme Patricia Highsmith, Ruth Rendell, Elisabeth George, sans oublier les chef de file de l’espionnage, John Le Carré, Eric Ambler. Etc... Il existe depuis quinze ans une littérature noire européenne très intéressante. Elle vaut très largement, à mon avis, les auteurs de polars anglais et américains. Mes influences viennent aussi de la fréquentation assidue, à l’adolescence, des grands romanciers français du dix-neuvième : Balzac, Flaubert, Stendhal, Hugo, Maupassant, Zola, mon préféré dont j’ai lu tous les romans une dizaine de fois. Je considère que si l’on arrive à allier l’efficacité des auteurs de thriller américains dans la construction du scénario à la brillante maîtrise du style qu’ont les auteurs français et à leur ingéniosité dans le maniement de la langue, on tient un grand livre. C’est ce que j’essaie de faire, avec plus ou moins de bonheur, lorsque j’écris. Je lis aussi beaucoup de biographies et d’essais historiques. Ces lectures sont souvent liées aux sujets que j’aborde dans mes livres, mais pas toujours. Pour en revenir au succès actuel de la bit-lit, je crois qu’il tient à la période à laquelle nous vivons. Avec la crise, le chômage, l’effondrement de la démocratie en Occident, les perspectives sombres liées au réchauffement climatique et à l’appauvrissement des ressources, le futur disparaît. C’est la première fois, dans l’histoire de l’humanité, que la jeunesse se retrouve privée d’avenir. On ne sait pas ce que sera devenue la planète dans cinquante ans. C’est terrifiant, je trouve, d’avoir vingt ans aujourd’hui, et de ne pas savoir comment s’inscrire dans le futur. D’où la plongée dans l’imaginaire, le merveilleux, la littérature fantastique. C’est une façon de se réapproprier un destin en s’identifiant à des héros forts qui savent se prendre en main et vaincre l’adversité. C’est très réconfortant. La SF est en crise parce que l’avenir est angoissant. La bit lit, la littérature fantastique sont en pointe au contraire car elles nous aident à effacer le présent. Puis nous vivons dans une société largement déchristianisée. Nous baignons (et c’est heureux) dans la laïcité. Lorsque la religion recule, le merveilleux prend le dessus.
5 : Quels sont vos projets d'écriture dans l'avenir? J’écris un roman contemporain qui se passe à Paris. J’ai en projet un quatrième livre pour enfants, destiné à la collection Souris Noire. Je réfléchis à l’écriture d’un quatrième livre de vampires avec Donnadieu comme personnage central. J’ai du mal à me détacher de ce héros, je l’aime beaucoup. J’ai jeté les bases d’un scénario il y a deux ans, après avoir terminé « Le Dernier vampire », mais je ne sais pas s’il tient la corde. Je ne l’ai pas relu. Façon de dire qu’il ne me convient pas, qu’il faut que je trouve un autre angle d’attaque.
On verra. Je ne me presse pas. Je travaille très lentement car je suis très exigeante.
6 : Quel message voudriez vous délivrer à vos Fans? Un message à délivrer à mes fans ? Gardez votre enthousiasme. Lisez, lisez, lisez. Ecrivez si vous en avez le désir. Ne vous contraignez pas, allez-y, jetez vous à l’eau si vous avez des projets dans ce sens ! La littérature est un des plus grands bonheurs de l’existence ! Moi en tout cas, elle a vraiment donné un sens à ma vie. C’est ma colonne vertébrale. Je suis très heureuse depuis que j’écris et que je publie. Nous tenons à remercier Jeanne pour le temps qu'elle nous a accordé et attendons avec impatience de lire prochainement ses nouvelles oeuvres. copyright @ Au Boudoir Ecarlate |
|