Ma critique pour Place To Be :La Couleur des sentiments est un roman comme je les aime : facile à lire grâce à un style simple et authentique, qui délivre un message qui rampe entre les lignes au lieu d'être violemment brandi à la face du lecteur. Je crois qu’on peut dire qu’on ressort grandi de cette lecture, de laquelle j’ai eu du mal à m’extraire. Ce n’est pas tant le cadre historique et social — même s’il est parfaitement retranscrit — que l’on retient, que l’humanité des personnages. Nous écoutons trois voix bien distinctes qui nous racontent leurs vies, leurs doutes et qui hurlent en silence leur colère. Et il n’y en a aucune qu’on ait envie de faire taire.
Aibileen, cette bonne noire de 53 ans, est l’âme du texte. Très croyante, généreuse et raisonnable, on la voit se débattre avec le souvenir de son fils. Elle essaie de combler le vide créé par son absence grâce à l’amour qu’elle porte à sa Baby Girl, cette petite fille blanche rejetée par sa mère, à laquelle elle tente d’inculquer la tolérance. Minny, quant à elle, l’insolente Minny, est drôle comme ce n’est pas permis, mais on sent que derrière son côté grande gueule, il y a plus que cela. Sa rencontre avec Celia Floote, sa maîtresse naïve mais généreuse, donne lieu à des scènes cocasses, et parfois même poignantes. Et enfin, Eugenia/Skeeter, cette jeune femme blanche idéaliste, qui finit par ouvrir les yeux sur le racisme inhérent à la ségrégation, et qui se rend compte que le problème la touche de plus près qu’elle ne se l’était imaginé. Ces trois protagonistes nous livrent un récit intime, qui n’est pas exempt d’une certaine pudeur, compte tenu des pressions de l’époque.
L’histoire en elle-même peut paraître simple, mais ce n’est qu’une apparence. C’est bien plus que l’écriture d’un livre qui est narrée, c’est une aventure humaine angoissante, qui transgresse les tabous. Il y a un recul hallucinant dans ce texte, qui nous permet de saisir pleinement l’importance des risques pris et l’excitation de flirter avec l’interdit parce qu’on sait qu’on défend une juste cause.
Beaucoup diront que le livre souffre de longueurs, je ne suis pas d’accord. On suit ces femmes dans leur quotidien, elles ont des vies et des familles en dehors de ce but qu’elles se sont fixé, et toutes ces contraintes nous aident à prendre conscience des enjeux, du danger. Toutes les scènes de cet ouvrage sont éloquentes, en cela qu’elles apportent leur lot d’injustices, qui expliquent la rébellion progressive des personnages. Ce que j’ai le plus apprécié, c’est que l’idée de témoigner germe lentement mais sûrement jusqu’à ce qu’il y ait un déclic dans cette communauté de bonnes noires.
L’écriture de ce livre a dû être très éprouvante pour l’auteure, car on est soi-même un peu dégoûté de la nature humaine en lisant les discours si logiquement inhumains des méchantes de l’histoire, qui ne sont finalement que des pauvres femmes sans personnalité. En fin de livre, on comprend pourquoi le roman sonne aussi juste, car l’auteure nous avoue l’avoir écrit pour donner la parole à ces femmes de couleur, pour leur faire dire ce que sa propre bonne, qui l’a élevée, n’a jamais eu l’occasion de lui dire à elle.
C’est donc un récit qui parle d’amour, de tolérance et de solidarité. Il pointe du doigt le beau comme le laid, et réussit à faire naître en nous une sourde indignation, qui gronde jusqu’à l’explosion. La plume est impeccable, pleine d’un humour qui nous aide à gonfler les poumons quand l’air devient irrespirable.
J’ai vu le film, et je peux vous dire que malgré certaines libertés prises par les scénaristes — qui consistent surtout à rendre l’ensemble plus compact — on retrouve bien l’âme du livre. C’est donc une adaptation réussie, que je vous recommande de voir après lecture pour ne pas gâcher l’effet de suspense relatif à certains événements.