SHUSTERMAN Neal - LES FRAGMENTES - Tome 2 : Les Déconnectés

Les Déconnectés
Neal Shusterman

Dans Les Fragmentés, Neal Shusterman décrivait un monde où l’on pouvait « fragmenter » tout adolescent âgé de treize à dix-huit ans, en réutilisant tous ses organes pour le laisser vivre dans un « état divisé ». La plupart des fragmentés sont des adolescents difficiles, comme Connor, des orphelins, comme Risa, mais certains – Lev, par exemple – sont également volontaires, considérant la fragmentation comme un acte religieux. Les Déconnectés suit l’itinéraire de plusieurs adolescents hors-la-loi (appelés « déserteurs ») qui tentent d’échapper à la fragmentation. Et la tâche n’est pas facile depuis qu’une pénurie d’organes a vu apparaître un nouveau filon : le marché noir. Les déserteurs doivent non seulement échapper aux Frags, la brigade des mineurs, mais aussi déjouer les pièges des Bracs, chasseurs de fragmentés sans foi ni loi. Après avoir survécu à l’attaque d’un camp de collecte, Connor, Risa et Lev continuent de résister à la fragmentation. Depuis un cimetière d’avions de l’Arizona, Connor accueille les fragmentés en fuite, aidé de Risa, qui a perdu l’usage de ses jambes en refusant la colonne vertébrale d’un fragmenté. Mais combien de temps peuvent-ils tenir face aux Frags ? La société peut-elle encore tourner le dos à la fragmentation alors qu’on vient de créer le premier « formaté » à partir des organes de 99 fragmentés ? Notre vie vaut-elle davantage que la somme de toutes nos parties ?

Il y a quelques années, un ovni littéraire est tombé entre nos mains : Les Fragmentés. La dystopie n’était pas encore à la mode et Neal Shusterman frappait fort, très fort même. Depuis, nous attendions la suite avec autant d’impatience que d’anxiété (comment faire aussi bon, si ce n’est mieux ?). Nous pouvons être rassurés, Les Déconnectés est aussi prodigieux, unique et marquant que l’était Les Fragmentés. Shusterman nous titille, nous pousse à nous interroger et invite à la réflexion. Un livre de YA comme il en existe peu, d’une intelligence rare et sans concession, en un mot: fascinant ! 

Comme dans le premier tome, plusieurs points de vue rythment le récit et nous permettent de comprendre l’histoire des Déconnectés. Nous retrouvons Connor et Risa que l’on apprit à connaitre et aimer dans les Fragmentés. Le premier est devenu le chef du Cimetière et essaie tant bien que mal d’offrir un refuge à tous les Fragmentés en fuite qui tentent d’échapper à leur funeste sort. C’est d’autant plus difficile qu’il existe à présent des bandes de « braconniers » qui récupèrent les fuyards pour les vendre au marché noir. En effet depuis que l’âge de la fragmentation a été réduit à 17 ans maximum, il y  a une pénurie des organes et certains sont prêts à tout (révoltant vous avez dit ? du début à la fin du livre nous le sommes !). Risa est clouée dans un fauteuil roulant car elle a refusé une greffe de colonne vertébrale et Lev, notre ancien Décimé, est devenu un vrai symbole de liberté et rébellion. Il est le seul Claqueur qui n’a pas claqué et cela suscite de grands débats dans la société. En attendant, son sang explosif le condamne à être enfermé, isolé du reste du monde mais cela ne l’empêche pas de réfléchir, loin de là … 

D’autres personnages sont aussi au cœur du livre : Rufus et Miracolina notamment. Le premier est le méchant, le salaud dans toute sa splendeur.  Rien ne peut le racheter, il est sans conscience, fourbe, manipulateur, violent, en un mot haïssable. Il parvient souvent à s’en sortir sans problème et c’est tout simplement révoltant, on a envie de le voir mourir et vite ! Miracolina est une Décimée et fière de l’être. C’est un bébé médicament que ses parents ont promis à la Fragmentation si son frère survivait. C’est le cas et s’ils sont emplis de regrets et de doutes, elle, pas du tout ! Elle veut être décimée, elle n’attend que cela et ne souhaite pas revenir en arrière. C’est déroutant et choquant parfois de la suivre dans ses raisonnements et pensées. Comment peut-on accepter d’être démembré sans se battre, c’est incompréhensible …  Mais l’un des personnages  les plus attachants est aussi celui qui heurte le plus notre moral et notre sensibilité. C’est Cam, un être complétement créé à partir de morceaux de dizaines de Fragmentés. Il ne sait pas qui il est, pourquoi il existe, n’a pas de conscience propre, … il est perdu dans un monde qu’il connait à travers les souvenirs de ceux qui le compose mais dont il ne connait en vérité rien du tout. Tous les passages qui lui sont consacrés sont dérangeants mais ô combien passionnants et sources de réflexion. 

Volontairement, je ne dévoilerai pas grand-chose de l’intrigue, ce serait gâcher toute la saveur du livre. Mais je peux vous dire que nous allons enfin comprendre le pourquoi de la Fragmentation, son origine, nous allons être aussi plongés au cœur de la Résistance et en appréhender un peu mieux les rouages et surtout, nous allons faire un peu mieux connaissance avec les délicieux citoyens qui soutiennent mordicus que oui, la Fragmentation, c’est formidable et qui souhaitent un retour de la limite d’âge à 18 ans, une greffe de cerveau en cas de mauvais résultats scolaires, … Des êtres adorables que l’on a juste envie de voir périr dans d’atroces souffrances très lentement si possible.

Certaines scènes des Fragmentés étaient tout simplement choquantes dans leur horreur, limite insoutenables. Il en est de même dans Les Déconnectés. Neal Shusterman nous plonge au cœur d’un univers révoltant où l’avortement est interdit mais où l’on peut diviser un adolescent vivant sans que cela ne pose de problème. Comment rester insensible devant une telle abomination ? On ne le peut pas, on souffre pendant notre lecture mais on en veut plus, toujours plus. Shusterman est un magicien des mots qui nous rend accros à ses romans et à ses personnages. Ils ne sont pas des héros, juste des ados qui tentent de survivre en s’adaptant, en luttant avec leurs pauvres moyens. L’auteur ne nous épargne pas et nous surprend de page en page (certains retournements de situations arrivent sans qu’on les voie venir). C’est tragiquement magnifique et magistralement bien mené de bout en bout.

Plus qu’un simple roman, qu’une dystopie comme il y en a tant, Les Déconnectés et plus généralement les Fragmentés est une immense série qui nous chamboule au plus profond de nos tripes, qui nous fait réfléchir et qui nous hante longtemps, très longtemps… Une des plus belles séries à l’heure actuelle que je vous encourage vivement à dévorer !  Merci MsK de nous offrir de si bons moments de lecture !