Les deux visages de la littérature YA, entre réalité et fiction
Beaucoup de monde en ce dimanche midi du salon de Montreuil pour assister à une conférence sur le thème de l'homosexualité des jeunes, de l'homophobie et de ses conséquences dramatiques, avec comme point de départ le roman de Cat Clarke,
Revanche. Animée par Glenn Tavenec, le directeur de la Collection R, étaient invités
Cat Clarke et l’association
Le Refuge avec son directeur, Nicolas Nogier, Mehdi un jeune ayant bénéficié du Refuge, et Fabien Le Roy de la Collection R pour la traduction.
Cat Clarke vit à Edinburgh et a déjà publié trois romans chez R :
Confusion,
Cruelles et
Revanche, qui ont tous reçu un très bon accueil dans le monde entier. Le succès a été immédiat et inattendu, notamment pour
Revanche. Son nouveau roman,
A kiss in the dark, sera disponible en avril prochain en Grande-Bretagne et en mai en France.
Le Refuge est la seule association en France conventionnée par l’Etat luttant contre l’isolement des jeunes. Il est question d’écouter et d’aider les adolescences en situation de mal-être, victimes d’homophobie, de rejet parental ou scolaire. Le Refuge propose donc plusieurs dispositifs d’accompagnement et de prévention en milieu scolaire. 60 jeunes sont actuellement hébergés en maisons-relais dans 7 villes Françaises dont 21 à Paris. Fondée en 2003 par Nicolas Noguier, l'association Le Refuge accueille des garçons et des filles de 18 à 25 ans exclus du domicile familial du fait de leur homosexualité ou de leur transexualité. Elle les accueille pour une période de six mois, le temps d'essayer de trouver un travail et un logement. L'association, qui dépend pour moitié des dons et pour l'autre de subventions, dispose d'appartements-relais et de places d'hôtel en Ile-de-France, à Marseille, à Lyon et à Montpellier. Le Refuge propose également un accompagnement social et psychologique, ainsi qu'une ligne d'urgence : 06 31 59 69 50.
Cette rencontre entre fiction et réalité, sur les lectures à la fois divertissantes et suscitant de profondes réflexions, permet d’aborder différemment ces problèmes bien présents de rejets sociaux, de stigmatisation, d’homophobie, qui conduisent dans la plupart des cas au suicide. Si Cat Clarke dépeint de façon très visuelle les faits, c’en est pas pour autant cru, mais elle est complètement dans ce qu’on pourrait appeler le « parler Vrai ». Ses livres parlent d’histoires d’amitié et d’amour qui vont au-delà des différences (Le suicide avec
Confusion, la violence en groupe dans
Cruelles et le harcèlement pour
Revanche). Elle n’a pas la volonté de vouloir faire passer un message en particulier, mais souhaite que les jeunes se posent les bonnes questions, s’interrogent. Et si à la lecture, des sujets sont soulevés et qu’un lien est fait avec la réalité, c’est une très bonne chose.
Elle reçoit beaucoup d’emails de jeunes qui étaient sur le point de se suicider et qui reviennent sur leur décision après lecture. Cela prouve que ces mots, ces histoires bouleversantes sont vecteurs d’espoir. Il n’y a jamais eu de retours négatifs des jeunes lecteurs comme quoi ses livres étaient trop sombres ou durs, à la différence des adultes. Cat ne donne pas à ses livres de morale préconçue, elle ne connait pas assez bien le milieu pour prêcher quelque chose. Elle voudrait avant tout que le lecteur réfléchisse sur ses actions au quotidien.
Medhi a été l’un des jeunes recueillis par Le Refuge et il explique que, sans l’association, il n’aurait eu aucune écoute de la part des autres. Il était complètement démuni et sans repère. En plus d’un toit, Le Refuge lui a apporté un accueil, un accompagnement social et psychologique, pour l’aider à se réorienter dans la vie professionnel mais aussi à recréer du lien social. On nous apprend que le suicide est la seconde cause de mortalité chez les 15-24 ans. Il s’agit pour l’association de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, que la discussion est possible, qu’on peut les comprendre, même s’il n’y pas de solution miracle.
Le Refuge apporte majoritairement un soutien aux jeunes homosexuels qui n’ont pas forcément d’aide familiale. Des exemples parmi tant d’autres : un(e) adolescent(e) à présent capable de prononcer le terme « homosexel(le) » ; de présenter un(e) petit(e) ami(e) à la famille.
Il y a vraiment une vigilance qui doit être apportée au
choix des mots qui, répétés comme une insulte, peuvent mener alors à la dépression (isolement, scarification…) à l’addiction (drogue, alcool). Cat Clarke nous explique aussi que le terme « gay » est encore plus banalisé que « pédé » ne l’est en France. Les Anglais l’utilise constamment pour parler de quelque chose de fragile : « my mobile phone is broken, it is gay » : « mon portable est cassé, il est fragile » ; « it’s too gay » : « c’est trop mal ». Nombreux sont les jeunes à l’utiliser sur les réseaux sociaux et cela créé beaucoup de préjugés. L’organisme
Stonewall a mis en place une campagne pour que « gay » cesse d’une insulte.
Ces écrits très profonds, ces livres qui font réagir, ont un gros succès aux Etats-Unis alors que les Français sont encore frileux et réticents. Ce qui est paradoxal vu que les Américains ont une réputation de puritains et nous de libéraux. Et pourtant, la plupart des histoires naviguant entre fiction entre réalité nous viennent de chez eux. On cite évidemment
Nos étoiles contraires de John Green mais aussi
Forbidden de Tabitha Suzuma, une histoire d’amour entre un frère et sa sœur, encore non traduit en France. Pour
Revanche, Cat Clarke s’est inspirée d’un fait d’actualité et elle est parvenue à nous plonger dans le drame avec beaucoup de détails et une grande force d’évocation. Il s'agit du suicide de Tyler Clementi, 18 ans, qui s'est jeté dans l'Hudson, près de sa fac après avoir posté sur Facebook "Je saute du pont George-Washington." Il avait demandé à son colocataire de lui laisser la chambre libre pour la soirée mais celui-ci a branché la webcam avant de partir et a filmé les ébats de Tyler avec un autre garçon. La vidéo a fait le tour du campus et les moqueries et vexations diverses ont poussé Tyler au suicide.
Cat lit aussi de de nombreux compte-rendu d’ados et suit la plupart des faits divers. Ici, c’est un garçon qui se suicide face à la pression de groupe et au harcèlement qu’il subit.
Kai, le personnage de
Revanche, était soutenu par ses parents, ce qui est loin d’être le cas de tous les homosexuels. Les chances de suicides sont 13 fois plus grandes chez les jeunes homosexuels que chez les jeunes hétérosexuels.
Les adultes restent distants face à ces livres, que ce soit les libraires ou les parents : « Je ne veux pas de ça pour mon ado, car c’est trop sombre et ce n'est pas pour lui, mais attention je ne suis pas homophobe ! »
Glenn Tavennec se souvient aussi de la réaction d’un journaliste : « J’ai adoré, ça m’a bouleversé, mais je ne comprends pas pourquoi c’est pour les jeunes. C’est plutôt pour un adulte qui souhaite comprendre les jeunes ».
Cat Clarke admet ne pas penser aux adultes en écrivant car ce n’est vraiment pas son but et son public. Elle trouve que ses livres seraient ennuyeux si elle écrivait pour les adultes.
On retrouve des comportements assez fermés également lors des visites du Refuge dans des lycées. Certains proviseurs leur affirment qu’ils ne peuvent pas intervenir dans l’établissement, car il n’y aurait pas d’homosexuels chez eux. L’association intervient néanmoins à l’Elysée depuis trois ans.
Au-delà du problème d’homophobie, il est question du fossé que crée le sexisme. « Pédé » est assimilé à quelque chose d’efféminé, d’inférieur. La femme est considérée comme un être inférieur, alors l'homosexualité est condamné parce qu'un l'un des protagonistes est assimilé à une femme. C'est aussi en partie pour cette raison que l'homosexualité féminine est souvent moins stigmatisée. L’homosexualité masculine est la grande priorité du Refuge car il y a plus d’idées reçues. Entre autres exemple, « deux homme ne peuvent pas s’aimer. Qui fait le ménage ? ». Deux femmes ensemble auront plus de facilité pour fonder une famille. Et de manière générale, deux hommes qui se tiennent la main sont moins bien perçus que si ce sont deux femmes. La semaine dernière, on apprenait d'ailleurs le
tabassage d'un homosexuel tenant la main de son compagnon. Et lorsque les garçons envisagent deux femmes ensembles c'est souvent dans le domaine du fantasme, en espérant s'y insérer pour un plan à trois. Ce qui n'est définitivement pas le cas par rapport à un couple gay.
114 jeunes ont été hébergés depuis la création du Refuge, mais la demande est très présente et il y aura bientôt plus de 1000 places en demande. Les centres d’hébergement ont aussi besoin de former du personnel. Le Refuge est de temps en temps contacté par des parents et ça les aide à retrouver le dialogue avec leurs ados.
Pour finir, Cat Clarke nous a confié qu’elle a surtout puisé dans les peines et les chagrins qu’elle a elle-même vécu pour écrire (Cat est aujourd'hui mariée avec Caroline, présente dans l'assistance). Elle a pu les transmettre à travers ses personnages car ses ouvrages parlent finalement de sujets universels.
Elle a été touchée par toutes les réactions positives autour de ses livres. C’est un engouement auquel elle ne s’attendait vraiment pas et ça lui fait un peu peur du coup, puisque qu’elle doit penser à présent à tous ses lecteurs. C’est une grosse responsabilité pour elle, mais on lui fait carrément confiance :wink:Concernant
A kiss in the dark, elle ose juste nous dévoiler que ce sera une romance entre Kate et Alex et que le livre sera divisé entre le point de vue d’Alex en première partie et celui de Kate en second. Quelqu'un a souligné qu'Alex peut tout aussi bien être un prénom féminin et masculin. Cat s'est contentée de sourire de manière énigmatique..
Ce fut donc une conférence passionnante qui ouvre un peu plus le genre YA et fait une nouvelle fois prendre conscience de la souffrance causée par le rejet social et l’homophobie. Merci à la collection R et à l’association Le Refuge !