Mon avisDeux intrigues parallèles, qui se rejoignent en une seule et même femme. Blanche, Bianca. Mais est-ce bien la même femme ? N’a-t-elle pas connu d’irrémédiables fractures, franchi des frontières, qu’on ne traverse qu’une seule fois, et ce en l’espace de quelques mois ? Que cache-t-elle, cette combattante qui essaie d’éveiller la conscience de ses concitoyens avec l’aide de son petit groupe de résistants, caché en plein cœur d’un Paris muselé par la loi martiale ? Et cette mère, dont on suit le douloureux périple jusqu’aux hauteurs des Pyrénées, affamée, sans autre soutien que celui de son époux, sans autre objectif que de retrouver sa fille dans un pays en guerre, qu’a-t-elle vécu pour avoir subi une telle transformation ?
Tout commence par la fin d’un monde, d’un pays. Ne vous attendez pas à une invasion d’extraterrestres, par l’apparition d’un virus mutant ou le début d’une guerre nucléaire. Non, ce qui arrive, c’est une crise. Nous connaissons ce mot, nous l’avons tellement entendu que nous y sommes immunisés. Une crise sans précédent pourtant, qui précipite le quotidien de Blanche et celui de millions de personnes dans un black-out infernal. Trois jours sans électricité, sans moyens de communication. Sans ravitaillement. Trois longs jours, sans autres signes de vie que ces avions de chasse qui se dirigent droit vers le Sud. Et ce message, qui annonce que le gouvernement ment et qu’une guerre a éclaté dans les pays méditerranéens, avant d’être brutalement interrompu.
Dès lors, Blanche est plongée dans l’angoisse. Sa fille unique, Elisabeth, se trouve de l’autre côté des Pyrénées, près de ses grands-parents en Espagne. Une Espagne où les ombres de la guerre civile se sont réveillées et où l’accès est interdit. Le pays est isolé. Interdit. Qu’importe : encouragée par Hadrien, son époux, Blanche fonce à ses côtés pour aller chercher Eli. Mais le chemin est semé d’embûches : entre la pénurie d’essence, les émeutes qui éclatent dans les villes, le pillage, le manque de ressources et l’imminence d’une loi martiale, Hadrien et Blanche se retrouvent eux aussi pris dans la tourmente. Jusqu’à ce jour, sur une route pyrénéenne, où la violence se déchaîne et où un choix s’impose à Blanche…
Quelques mois plus tard, elle devient Bianca, intègre un groupe de résistants à Paris, qui sème des messages, cherchant à éveiller la conscience générale. Des messages jusqu’ici taggués sur des produits d’alimentation, placardés sur les murs ou dissimulés dans ces confiseries, les « Fortune Cookies ». Vient un moment cependant où les messages ne suffisent plus et où le groupe veut viser plus haut : la diffusion d’un reportage non censuré au journal télévisé…
On ne ressort pas indemne d’un récit tel que les
Fortune Cookies. Qu’on soit d’accord ou non avec les actions de Blanche/Bianca, qu’on valide ou non ses choix, ce sont d’abord ceux-ci qui la définissent de manière irrémédiable. J’ai été extrêmement touchée, émue, secouée par le parcours de cette femme, citoyenne ordinaire dont la conscience s’éveille par rapport aux évènements et qui décide qu’elle ne peut plus se taire. Qu’elle doit agir. D’abord « perdue dans cette Histoire avec un grand H, qui a ravagé ma petite histoire à moi », elle se découvre militante. Résistante. Combattante, avec son désespoir vissé aux tripes. Elle refuse cependant de revenir en arrière, de se taire, de courber le dos, d’accepter. Quitte à tout perdre.
« Alors son histoire de machin sans vie, je m’en fiche. Je ne le laisserai pas m’attacher de nouveau des fils à la patte et me condamner à l’immobilisme. »
Agir aussi pour ses concitoyens « qui sont comme éteints : à l’intérieur, la petite loupiote a grillé » et dans l’espoir d’un monde meilleur…
Bien plus qu’un portrait de femme, aussi touchant et émouvant soit-il, Silène Edgar signe un texte choc, un coup de poing dans une production littéraire parfois bien trop policée. Une anticipation d’une qualité rare, en ce sens qu’elle est presque tangible, qu’elle semble à deux doigts de pouvoir se réaliser. C’est aussi un récit engagé et militant. Contre le silence, contre le fait de fermer les yeux, de refuser de voir la réalité en face. Par son réalisme percutant, par son style toujours juste, par ses références qui entourent le texte tel un écrin et renforcent encore son message, les Fortune Cookies réalisent l’instantané d’une époque : la nôtre. Un texte à découvrir d’urgence… et à garder en mémoire.
J'ajouterais enfin que si les textes de la collection Snark sont d'abord disponibles en numérique, ils sont aussi disponibles en papier, via l'option "impression à la demande" offerte par l'éditeur, et que l'auteur sera justement en dédicace le 1er février à la librairie l'Amandier, située au n°45 du boulevard Richard Wallace à Puteaux, de 10h30 à 13h00 ! Vous pouvez lire son interview ici :
http://bragelonne-le-blog.fantasyblog.fr/archives/3152