Gaspard est le majordome du baron Jules Berlingault. Voilà plus de trente ans qu’il s’occupe de lui et se plie à tous ses désirs. C’est donc tout naturellement que Berlingault lui annonce un matin qu’il fera de lui son unique héritier. Gaspard est heureux et le prend comme une juste reconnaissance de ces années de bons et loyaux services. Mais voilà que de plus en plus de problèmes apparaissent dans leur immeuble. Gaspard s’en mêle, demande son aide à Berlingault et ne va pas tarder à le regretter. Car le vieux monsieur décide de prendre sous son aile ses voisins et leur propose de les accompagner dans sa résidence de vacance sur l’ïle de Ré. Etrange, mais son patron a déjà habitué Gaspard à pire. Jusqu’au coup de théâtre : Berlingault annonce à ses invités que s’ils arrivent à régler leurs querelles d’ici la fin des vacances et être heureux, il fera d’eux ses héritiers. Il ne leur offre pas moins que tout son argent, avec le bonheur en prime, ce qui n’est absolument pas du goût de Gaspard….
Après le roman historique (sa trilogie
Le temps des femmes), Emmanuelle de Boysson nous offre une comédie satirique sur la quête du bonheur à travers la quête de son identité. Une identité aussi pour certains qui, à cause de circonstances particulières, ne fait que se révéler. Rose et Patrick, Luna et Antoine, on apprend à les connaître au fur et à mesure qu’ils apprennent eux-mêmes à se connaître et s’accepter. Et même sous la plume acérée et incisive de Gaspard, on s’attache à eux et, tout comme Berlingault, on visualise les possibilités.
Gaspard est le narrateur. Un narrateur pour le moins inhabituel qui, en une succession de phrases courtes, au style haché, nous transmet ses pensées. Des pensées directes, sans transition, sans remaniement, sans censure. C’est comme si nous avions accès directement à son esprit en temps réel. Assez déconcertant au départ, on finit par s’habituer et même par en comprendre l’intérêt. Vieil homme sympathique au départ, attachant par sa loyauté sans faille et sa capacité de travail, il nous devient au fil du récit de plus en plus haïssable. Du veuf accroché au souvenir de son épouse tant aimée, on perçoit au gré de ses souvenirs un mari jaloux et autoritaire, un homme aigri et avide… Une révélation dû à l’appât du gain et la volonté de ne rien partager, car
« dès qu’il s’agit d’héritage, il n’y a plus de morale. Les gens sont capables du pire ».« Homme de ménage, cuisinier, livreur, chauffeur aux quatre coins de l’île, je me suis défoncé. Pas une once de reconnaissance. Ils s’épanouissent, je flétris. Ils avancent leurs pions, je me fais bouffer. Ils s’envolent, je m’enterre. Ils s’ouvrent, je me cadenasse. La douleur occupe tout la place, elle coule dans mes veines, elle va et vient en moi, elle se répète, me couvre comme un vêtement vide. »
Et à côté de lui il y a Jules, 90 ans et éternel optimiste, persuadé de permettre à ses nouveaux amis de devenir heureux grâce à un coup de pouce. Il voit tout, comprend tout, note l’évolution de ceux qui l’entourent et saura en tirer les leçons le moment venu.
Dans un style vivant et drôle, souvent théâtrale, parfois émouvant, Emannuelle de Boysson nous offre peut-être la recette du bonheur…