Mon avis :Dans les années troubles qui précèdent la deuxième guerre mondiale, Gonzague Tosseri nous propose de suivre les pérégrinations de Blèche, inspecteur atypique de la « Mondaine ».
Dans ce très bon polar, il n’est pourtant à la base pas question de meurtre, en tout cas pas de celui d’un être humain : la mutilation sexuelle de deux grands félins du zoo de Vincennes va le mener sur la piste d’un trafic d’aphrodisiaque homosexuel. Le lecteur est donc convié dans le quotidien du protagoniste dans un monde extrêmement particulier, celui des « invertis » parisiens des années 30, entre drogues, prostitution et déchéance.
Bien sûr, quelques âmes chagrines crieront ans doute à la caricature voire à l’homophobie, quand il ne s’agit en vérité que de la description d’un univers que le secret imposé par la morale de l’époque poussait vers les extrêmes, et non d’un traité sur la perversité intrinsèque des homosexuels ; il en va de même pour les romans qui plantent leur décor dans les murs des maisons closes et que l’on n’accuse cependant pas de nuire à l’image de la femme. Les nuits parisiennes de tous bords ont connu et connaissent toujours des excès qui flirtent avec l’ignoble.
Cette question réglée, le contrat est parfaitement rempli. Le héros est un personnage complexe et réaliste, ni spécialement attachant ni franchement un anti héros, qui s’inscrit parfaitement dans la mentalité de l’époque. Ainsi, l’auteur ne cherche pas à nous le rendre plus sympathique en gommant certains aspects de son travail de policier, qui à l’époque incluait brutalité et abus de pouvoir. Autour de lui, on rencontre des figures certes attendues mais bien nuancées, en tous cas pour les principales : Lazare, le vieux collègue bonhomme, figure paternaliste qui cache sous ses rires gras un alcoolisme destructeur ; Louise, fille mère provinciale sauvée du trottoir par l’amour de Blèche ; Goetz, informateur privilégié de l’inspecteur, vieux dealer régnant sur la communauté homo depuis son minuscule réduit de chimiste illégal, ou encore la Samo, tapin déchu dévoré par l’opium.
L’enquête en elle-même est bien menée, rythmée et palpitante. Bref, déjà un honnête roman si l’on s’en tenait à cela.
Mais en bonus, l’auteur nous offre de multiples autres intrigues, certaines surgies du passé qui viennent éclairer la personnalité des personnages, et une autre concomitante à l’enquête des aphrodisiaques, bien plus importante puisqu’elle naît du meurtre non résolu d’un conseiller municipal influent. On peut simplement regretter le manque de vraisemblance d’une partie de cette dernière intrigue, voire un certain anachronisme dans son traitement.
- Spoiler:
S’il existe de nos jours en Europe de l’Est un courant qui mêle néo nazisme et homosexualité assumée voire agressive, à l’époque les « pédérastes » découverts au sein de l’appareil politique ou de l’armée d’Hitler étaient déportés et éliminés sans indulgence aucune
.
A cette déception près, non seulement il s’agit d’un bon polar bien écrit, mais on sent nettement qu’il pourrait être à l’origine d’une série. En tous cas, il serait bien dommage d’avoir pris le temps de nous présenter des personnages si réussis, au passé si riche et qui promettent tant, si c’était pour ne plus les convoquer dans un nouvel ouvrage !