Projection du film Tokyo Fiancée
Le 9 février dernier, nous avons eu la chance, grâce aux Editions du Livre de Poche et Albin Michel, de pouvoir assister à la projection en avant-première du film Tokyo Fiancée (adapté du roman
Ni d'Êve, ni d'Adam d'Amélie Nothomb) en présence d'une partie de l'équipe du film : acteurs principaux, réalisateur, compositeur et bien sûr de la personne à l'origine de l'histoire, Amélie Nothomb...
Après le film, ils ont bien voulu répondre à quelques questions de la salle, dans une ambiance détendue et bon enfant. Parfait moyen de clôturer la projection d'ailleurs.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas l'univers d'Amélie Nothomb, nombre de ses livres sont inspirés de sa vie personnelle. Et Ni d'Êve, ni d'Adam, se situe au Japon au début de l'âge adulte de l'auteur. Il dévoile une autre facette de sa vie au Japon que celle que l'on découvre dans Stupeur et tremblements, un autre de ses romans (également adapté au cinéma, avec Sylvie Testud dans le rôle titre)
Question à Stefan Liberski : Comment s'est passée la rencontre avec le livre d'Amélie Nothomb et l'idée de le transposer à l'écran ?Stefan Liberski : Ce sont deux histoires d'amitié et d'amour, une histoire avec le Japon et une histoire d'amitié avec Amélie. J'étais au Japon en 2004 pour tourner quelques séquences d'un autre film et quand j'étais là-bas je me suis dit qu'un jour j'y retournerai pour faire un long métrage. Au départ j'ai pensé que ce pays m'avait enchanté et je connais Amélie depuis longtemps... Et un jour elle m'a envoyé son livre
Ni d'Eve, ni d'Adam. Je l'ai lu et c'était ce qu'il fallait, le véhicule idéal pour raconter ce que je voulais sur le Japon. Il y a eu une espèce d'étincelle, de miracle. J'en ai parlé tout de suite à Amélie et elle a été rapidement d'accord, même immédiatement.
Amelie Nothomb : Oui, c'est une amitié de longue date et une admiration de longue date. Stefan est également écrivain et j'ai lu tous ses livres et vu tous ses films, avec beaucoup d'admiration... Donc quand il m'a proposé le projet de film, je me suis dit que cela pouvait être vraiment bien. Et il m'a fait lire le scénario qui était extraordinaire car il était très différent du livre et c'est un très bon scénario. Donc j'étais en confiance car je pense que si ça avait été extrêmement fidèle ça m'aurait beaucoup gênée. Et là, le fait qu'il y ait tellement d'écart entre le film et le livre faisait que je me sentais complètement à l'aise. Je trouve que c'est un film terriblement émouvant, au point d'en avoir les larmes aux yeux à la fin et je veux croire que mon histoire est très émouvante aussi. D'une autre façon, on atteint la même émotion. Et ce en grande partie grâce à la grâce de ses jeunes acteurs. (se tournant vers eux) Vraiment merci.
Pauline Etienne : Merci. C'est la première fois que je rencontre Amélie, donc je suis très émue. Je suis rentrée dans le milieu du cinéma de manière très classique, en passant des castings. Et là, j'ai passé un casting... je pense d'ailleurs avoir été la première que Stefan a rencontré. Il pourra vous raconter après ce qui s'est passé dans sa tête. J'ai tout de suite accroché avec cet homme-là car j'aimais sa façon de parler de l'histoire qu'il avait envie de raconter.
Taichi Inoue : Je suis très ému par le film. Il y a beaucoup de coïncidences entre le film et ma vie. L'histoire se passe à l'époque où je suis né et par rapport au lieu de la dernière scène car je suis né à Fukushima. J'ai beaucoup de connections entre le film et moi-même. Je serai très heureux si vous aimez le film.
Question à Stefan Liberski : J'ai l'impression que vous avez fait « Hiroshima mon amour » à l'envers. C'est à dire que ça commence par une histoire d'amour et ça finit par la bombe atomique. Et d'ailleurs à un moment donné du film, il y a une phrase qui est une référence évidente à « Hiroshima mon amour » : « Tu n'as rien fait à Hiroshima, tu ne connais rien du Japon ». Stefan Liberski : Exactement. Le livre d'Amélie est plus qu'une référence à
Hiroshima mon amour alors que dans le film, je n'ai fait que l'évoquer.
Amelie Nothomb : Je vais le dire car il n'osera pas le dire lui-même. Le coup de génie de Stefan Liberski, c'est que ce qui était la pire catastrophe pour le film et surtout pour le Japon, ça a été évidemment Fukushima qui a suspendu le tournage, et moi je pensais qu'il n'y avait plus de film et ça aurait été logique... Et c'est là que Stefan Liberski a réussi à intégrer Fukushima dans le film et ça fait sens de façon miraculeuse. On ne va évidemment pas se réjouir de Fukushima qui était une atrocité, mais c'était un coup de génie de sa part de... Bref (se tournant vers lui), parles-en.
Stefan Liberski : Comme l'a dit Amélie, à cause de ce qui s'est passé, le tournage a été interrompu, on était prêts à partir quand il y a eu les événements. J'ai aussi cru que le film ne se ferait pas. On parlait d'évacuer Tokyo à l'époque. Donc c'était terrible et le film était le cadet de mes soucis. Et puis avec la ténacité de mon producteur, on l'a remis sur pied mais je ne pouvais plus tourner exactement ce qui avait été écrit. Après Fukushima, ce n'était plus possible. Il fallait que je parle du Japon autrement, d'autant que je voulais filmer le Japon du moment où je le filmais. Il n'était pas question de faire un film archéologique, d'époque. Donc il fallait que je parle de cet événement et, dès que j'ai écrit la nouvelle mouture, je l'ai envoyée à Amélie qui m'a dit que c'était bien et que c'était comme ça qu'il fallait faire.
Amelie Nothomb : C'était risque, franchement, cela n'allait pas de soi que ça donne un beau résultat. Et le résultat est franchement... Il y a une espèce de grâce. Je ne sais pas comment il a fait, mais ce film est porté par une grâce constante. On est au Japon quand on voit ce film, mais on est pas dans n'importe quel Japon. Je ne sais pas comment tu as fait ces repérages-là, c'est extraordinaire. Il y a des endroits que je connais très bien et d'autres que je ne connais absolument pas. C'est un très beau film sur le Japon.
Stefan Liberski : Je voulais aussi montrer le Japon que j'avais vu. J'ai été en repérages plusieurs fois entre 2004 et le moment où le film a été tourné et je voulais montrer un autre Japon que celui des temples ou celui qu'on voit sur les cartes postales... un Japon « ordinaire ». C'est celui que j'aimais et que je trouvais beau et touchant. Si j'ai pu faire passer ça dans le film, je suis très heureux.
Question à Amélie Nothomb : C'est un film très émouvant, assez bouleversant. Il y a déjà eu plusieurs adaptations cinématographiques de plusieurs de vos romans, et vous aviez parlé du mariage avec vos livres quand on vous propose une adaptation.Amélie Nothomb : C'est exact, mais comprenons-nous bien, le marié (en désignant Stefan Liberski) c'est lui. Je suis dans la situation de la belle-mère.
Nouvelle question : Justement, en tant que belle-mère, surtout dans ce film mais aussi dans les autres, est-ce que vous laissez votre « enfant » voler de ses propres ailes ou à quel point vous avez eu une implication dans ce projet ?Amélie Nothomb : Ecoutez, je pense être une belle-mère extrêmement difficile. C'est à dire que j'examine le gendre avec méfiance. Et je lui pose des questions odieuses, j'ai tendance à être intraitable. Bon, Stefan et moi sommes amis depuis vingt ans, donc ça commençait très bien et j'ai peut être été moins odieuse avec lui qu'avec les autres gendres. Mais, une fois que j'accorde la main de mon enfant, là, je fais une belle-mère exemplaire, c'est à dire que je me retire du jeu, ce qu'ils vont faire ensemble ne me regarde pas. Avec tous les risques que cela suppose : ça peut donner un très mauvais film, c'est déjà arrivé et ça peut donner un très beau film, c'est également déjà arrivé, notamment avec Stupeur et tremblements. Et ici c'est aussi un très beau film donc je suis une belle-mère assez comblée.
Question pour Pauline Etienne : Je voulais savoir si avant de faire le film tu avais déjà un intérêt pour le Japon, si tu connaissais un peu la culture japonaise, parlait un peu japonais... et que c'est cela qui avait influencé Stefan Liberski dans son choix ?
Pauline Etienne : Non, je ne m'intéressais pas forcément au Japon que j'ai vraiment découvert grâce à ce film et à Stefan. On est partis tourner six semaines là-bas, et c'est un pays totalement différent, on est totalement plongés dans l'immersion et je suis très heureuse d'avoir découvert le Japon car c'est un pays que j'aime désormais profondément et l'envie que j'ai par rapport à ce film, c'est de vous donner envie d'y aller car c'est important de continuer à y aller malgré ce qui s'est passé parce que forcément, il y a moins de gens qui y vont et il faut dépasser la peur car il y a beaucoup de choses à découvrir là-bas.
Question : Est-ce que le film a déjà été présenté au Japon ? Stefan Liberski : Non, pas encore. Les quelques japonais qui l'ont vu sont en général plutôt contents. Ils y reconnaissent quelque chose... C'est très particulier la négociation avec les japonais. C'est une histoire... Je peux vous dire que par exemple, il faut des autorisations pour tourner au Japon, comme dans les autres pays. C'est pas très compliqué, mais ça dure six mois, un an avant de les avoir, voir deux ans. Donc on s'est résolus à ne demander aucune autorisation, ce qui a marché. Je crois que c'est le seul pays au monde où on peut le faire car quand on tourne dans la rue au Japon, les gens sont tellement civils, tellement polis, que jamais ils ne vont vous demander si vous avez l'autorisation. Il est évident que vous avez l'autorisation.
Question : Avez-vous une petite anecdote pendant le tournage du film ?Pauline Etienne : C'est vrai que ça a l'air drôle comme ça, mais la scène du poulpe... C'est pas Stefan qui l'avait dans la bouche, le poulpe. Il bougeait vraiment dans ma bouche... Et j'étais obligée de le garder pour le raccord avec l'effet spécial qu'il y a eu. J'étais obligée de le garder dans ma bouche et je le sentais dans ma bouche. Voilà... j'en ai même pleuré.
Stefan Liberski : Elle m'a détesté, je ne sais pas pourquoi. En complément, on tournait ça dans un ryokan traditionnel dans la région des montagnes et il n'y avait pas de poulpe... donc on en a fait venir quelques un par Fedex.
Question : Sans l'intervention de Fukushima, comment devait se terminer le film ?Stefan Liberski : Elle s'en allait...
Amélie Nothomb : Là, pour le coup, grâce à la version de Stefan, je suis beaucoup moins méchante dans le film que dans la réalité, c'est à dire dans le livre où je suis partie sans explication en disant que je reviendrai plus tard. Donc dans le livre je suis très méchante, et si ça peut vous rassurer, le livre est paru en 2007 et j'ai reçu énormément de lettres d'insultes : « pourquoi avez-vous fait ça ? »
Stefan Liberski : Au sortir d'une des projections, j'ai vu une petite fille en pleurs qui se demandait pourquoi ils ne se mariaient pas...
Question à Casimir Liberski : Comment faites-vous pour composer et pour que la musique s'intègre aussi bien ? Êtes-vous présent sur le tournage ? Voyez-vous les images avant ? Casimir Liberski : Je ne suis pas allé sur le tournage, sauf le dernier jour. Mais j'ai beaucoup porté ce sentiment de la « beauté de l'ordinaire » au Japon, comme partout. J'ai ce sentiment de joie de vivre, et de tranquillité dans tout ce que je vois. On peut dire en fait que j'ai commencé à aimé le Japon il y a plus de dix ans et que j'ai convaincu mon père de l'aimer aussi car il n'avait pas beaucoup d'intérêt pour le Japon. Et la musique japonaise m’attire beaucoup : Joe Hisaishi et tous ces grands compositeurs de musique de film... Je suis pianiste et il y a une certaine simplicité que je recherche dans ces musiques-là. Ça se fait naturellement car c'est quelque chose que je porte en moi... Cette inspiration, adoration du Japon et de tout ce qui est japonais, asiatique. Peut être un côté de la recherche du zen, du bouddhisme.