Rencontre magique avec Kristin Cashore et Deborah Harkness
au Dernier bar avant la fin du monde, le 14 septembre 2012
A l'occasion de leur tournée européenne, les éditions Orbit ont organisé à Paris, au Dernier bar avant la fin du monde, une rencontre exceptionnelle avec deux monstres sacrés de la littérature fantastique : Kristin Cashore et Deborah Harkness !
Dans une ambiance agréable et détendue, les deux auteures se sont prêtées avec gentillesse au jeu habituel des dédicaces, des photos et de la séance de questions-réponses.
DEBORAH HARKNESS :
Deborah Harkness est professeur à l’Université de Californie du Sud. Spécialiste de l’histoire des sciences et de la magie en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, elle a publié deux essais très remarqués avant de se lancer dans l’écriture de romans. Elle tient également depuis 2006 un blog sur le vin
http://goodwineunder20.blogspot.fr/ qui a été plusieurs fois primé. Vendus dans une quarantaine de pays, best-seller international salué par la critique,
Le Livre perdu des sortilèges est son premier roman.
Les droits de la trilogie «
All souls » ont été achetés par la Warner et le premier livre est en cours d’adaptation pour le cinéma.
Plus d’informations sur le site de Deborah Harkness :
http://deborahharkness.com/Après lecture d'un extrait de
L’École de la Nuit en guise de préambule, Deborah Harkness s’est prêtée avec gentillesse et malice aux jeux des questions-réponses pour notre plus grand plaisir. La dame est professeur, qui plus est d’Histoire, habituée à captiver son auditoire et nous avons été complètement sous le charme pendant près d’une heure !
Extrait lu :
- Spoiler:
Shadow of Night / L’École de la Nuit
Chapter 1
We arrived in an undignified heap of witch and vampire. Matthew was underneath me, his long limbs bent into an uncharacteristically awkward position. A large book was squashed between us, and the force of our landing sent the small silver figurine clutched in my hand sailing across the floor.
"Are we in the right place?" My eyes were screwed shut in case we were still in Sarah's hop barn in twenty-first-century New York, and not in sixteenth-century Oxfordshire. Even so, the unfamiliar scents told me I was not in my own time or place. Among them was something grassy and sweet, along with a waxen smell that reminded me of summer. There was a tang of wood smoke, too, and I heard the crackle of a fire.
"Open your eyes, Diana, and see for yourself." A feather-light touch of cool lips brushed my cheek, followed by a soft chuckle. Eyes the color of a stormy sea looked into mine from a face so pale it could only belong to a vampire. Matthew's hands traveled from neck to shoulders. "Are you all right?"
After journeying so far into Matthew's past, my body felt as though it might come apart with a puff of wind. I hadn't felt anything like it after our brief timewalking sessions at my aunts' house.
"I'm fine. What about you?" I kept my attention fixed on Matthew rather than daring a look around.
"Relieved to be home." Matthew's head fell back on the wooden floorboardswith a gentle thunk, releasing more of the summery aroma from the rushes and lavender scattered there. Even in 1590 the Old Lodge was familiar to him.
My eyes adjusted to the dim light. A substantial bed, a small table, narrow benches, and a single chair came into focus. Through the carved uprights supporting the bed's canopy, I spied a doorway that connected this chamber to another room. Light spilled from it onto the coverlet and floor, forming a misshapen golden rectangle. The room's walls had the same fine, linenfold paneling that I remembered from the few times I'd visited Matthew's home in present-day Woodstock. Tipping my head back, I saw the ceiling—thickly plastered, coffered into squares, with a splashy red-and-white Tudor rose picked out in gilt in each recess.
"The roses were obligatory when the house was built," Matthew commented drily. "I can't stand them. We'll paint them all white at the first opportunity."
The gold-and-blue flames in a stand of candles flared in a sudden draft, illuminating the corner of a richly colored tapestry and the dark, glossy stitches that outlined a pattern of leaves and fruit on the pale counterpane. Modern textiles didn't have that luster.
I smiled with sudden excitement. "I really did it. I didn't mess it up or take us somewhere else, like Monticello or—"
"No," he said with an answering smile, "you did beautifully. Welcome to Elizabeth's England."
Comment vous est venue l’envie et l’idée d’écrire Le Livre perdu des sortilèges ? Votre métier d’historienne a-t-il joué un rôle dans votre écriture ?
"Je suis professeur d’histoire. Ma crise de la quarantaine, au lieu d’acheter un cabriolet ou d’entamer une liaison, j’ai préféré la vivre en écrivant le premier livre de cette trilogie.
« I’m bored » : j’avais fait tout ce que je devais faire dans ma vie et je m’ennuyais par avance car je savais aussi ce qui m’attendait pour les vingt prochaines années !
Un jour en vacances avec ma famille au Mexique, je regarderais les couvertures de livres comme celui de Kristin Kashore et je me demandais « et si les créatures fantastiques existaient vraiment, quels métiers elles feraient, comment vivraient-elles dans notre monde ?... » Et au final, pourquoi n'en ferais-je pas aussi mon métier ?
Le passé est important pour comprendre ce qu’il se passe dans le monde présent. De fait, pour une historienne, l’idée du vampire est attrayante . Il traverse l’Histoire, le temps et peut en parler d’expérience car il a vécu l’Histoire. C’est pour cela que je ne voulais pas un « jeune » vampire d’un siècle mais plutôt un de 1500 ans comme Matthew Clairmont."
Est-ce que cela vous est déjà arrivé aussi d’attendre des heures un livre en bibliothèque comme c’est le cas pour Diana et l’Ashmole 782 ?
"C’est encore mieux que cela : j’ai vraiment attendu l’Ashmole 782 (wiki sur Elias Ashmole) pendant deux heures ! Je faisais des recherches pour ma thèse à la bibliothèque Bodléienne, il était censé être dans la bibliothèque mais impossible de le retrouver, il a disparu ! C’est comme cela qu’est venue l’idée de départ de la trilogie…"
Est-ce que la vie dans vos livres est celle dont vous rêvez secrètement ? Et est-ce que ce monde imaginaire interfère dans votre vie réelle ?
"Avant Le livre perdu des Sortilèges, j’avais écrit des livres d’histoire mais pas de fiction : John Dee’s Conversations with Angels: Cabala, Alchemy, and the End of Nature (Cambridge University Press, 1999) et The Jewel House: Elizabethan London and the Scientific Revolution (Yale University Press, 2007). Deborah Harkness est donc une historienne des sciences et de la magie...
L’écriture fait partie de ma vie depuis que je vais à l’école. Mais c’est dur, exigeant, loin de la vie de rêve que l’on imagine. Encore plus difficile quand on est fatigué, en manque d’inspiration, quand on doit rendre le manuscrit impérativement avant la date limite…
Mais ce premier livre a été une expérience vraiment amusante, la plus amusante que j’ai faite en restant assise ! J’ai commencé par m’interroger sur les raisons pour lesquelles les gens étaient fascinés par les créatures imaginaires et comment seraient ces créatures dans notre monde actuel.
Et si une sorcière n‘était pas heureuse d’en être une ? Et si un vampire millénaire était un scientifique qui développait des hypothèses, des théories et qu’il voyait le fruit de ses recherches aboutir des années, voir des siècles plus tard ? Les noms des personnages ont jailli de mon esprit, leur histoire est venue naturellement mais écrire de la fiction n’était pas forcément mon objectif premier. Ecrire, C’est un peu comme une radio dont on doit parvenir à capter la bonne fréquence pour que tout soit bien clair. Parfois je capte plusieurs conversations à la fois, et parfois je n'entend rien. Je suis à la fois observatrice et auditrice, alors je n’ai plus qu’à me jeter sur mon stylo, enfin mon ordinateur pour tout écrire !"
Aux Etats-Unis, l’Histoire n’est pas une matière très populaire. Est-ce pour en développer l’intérêt auprès des jeunes générations que vous avez mêlé Histoire et fiction dans vos livres ?
"L’histoire de l’Amérique est très populaire aux États-Unis. On y consacre quatre à cinq d’étude contre seulement deux pour l’histoire du monde. C'est choquant. D'autant que pour moi l'histoire américaine est si récente qu'elle s'apparente davantage à du journalisme. Je pense depuis longtemps que l’Histoire est importante, qu’il faut s’intéresser aux autres pays, à leur histoire pour mieux comprendre le monde. Je dis souvent « soyez ouverts sur le reste du monde ».
J’ai situé mon histoire, en partie, à Clermont-Ferrand car c’était le centre du monde, c’est là que pris vie l’idée de Croisade en 1095. Cela me paraissait important de placer mon histoire en France.
Donc oui, j'espère, à travers mes livres, ouvrir mes compatrioties à une histoire autre que celle américaine, une histoire tout aussi passionnante et importante.
Depuis 1982, je m’intéresse de près aux créatures fantastiques. Je suis historienne de la magie et des sciences. J’avais beaucoup de notes que je n’avais pas forcément utilisé pour ma thèse. Je ne voulais pas d’une histoire avec des sorcières telles qu’on les imagine aujourd’hui mais plutôt comme elles étaient perçues auparavant. Les chaudrons servaient aussi bien pour concocter des poisons, des sorts que déclencher des tempêtes ou nourrir des gens. Et la cuisine de Sarah et Em est à l’image de cela, de même que leur voiture est un peu le balais moderne des sorcières !"
KRISTIN CASHORE :
Kristin Cashore est l’auteure de l’excellente trilogie Graceling éditée chez Orbit, une trilogie relatant les exploits des Gracelings, ces êtres dotés de pouvoir exceptionnels et qui se battent pour la liberté des Sept Royaumes et la dignité de leurs habitants.
La petite trentaine, cette jeune femme timide et souriante a su charmer tous les lecteurs venus pour la dédicace en parlant à la fois avec passion et avec un curieux détachement de son univers. Un mélange étonnant qui en a convaincu plus d’un…
Voici ce que l’auteure nous révèle de sa vie sur son site : « J'ai grandi dans la campagne du nord-est de la Pennsylvanie, dans un village avec des vaches et des granges et de belles vues du haut de la colline et toutes ces bonnes choses. J'ai vécu dans une vieille maison avec mes parents, mes trois soeurs, et quelques chats, et j’aimais LIRE LIRE LIRE LIRE LIRE. Je lisais en me brossant des dents, en hachant du persil… La première chose que je faisais le matin en me réveillant c’est attraper un livre. Les deux seuls endroits où je ne lisais pas c’est dans mon lit et en voiture. Pourquoi ? Tout simplement parce que je faisais la seule chose que j’aime encore plus que la lecture : je rêvais. Et ainsi, sans le savoir, je plantais les graines. Lecture et Rêverie = une préparation parfaite pour l'écriture.
Depuis mes études de littérature à l’université Simmons de Boston, je n'ai pas cessé d'écrire, pas une seule fois. J'ai développé un problème d'écriture compulsive qui me rend bizarre mais charmante aux yeux des autres. Je ne peux pas arrêter ! Mais ce n'est pas grave, parce que je ne veux pas m'arrêter. J'ai écrit à temps plein – même plus qu’à temps plein, vraiment – depuis quelque temps déjà. C'est un métier de rêve, qui est une autre façon de dire que quand je sors faire du shopping pour me dégotter des vêtements de travail, je vais directement à la section pyjama.
Je suis aussi farouchement indépendante. Je vis parfois en ermite, mais jamais pour très longtemps. Je suis à la recherche du chat parfait. Je médite, et quand je le fais, le prince Harry apparaît dans mon subconscient et médite avec moi. C'est un peu étrange, mais je ne pense pas qu'il y ait quelque chose que je puisse faire à ce sujet. Parfois, il n'est pas seul. Ainsi, l'autre jour, c'était moi, le prince Harry, le Dalaï Lama, M. Rogers, Coco le gorille, et George Clooney. Nous avons tous flottés au-dessus de la terre en observant les continents. George Clooney a suggéré que je visite Providence, Rhode Island. Le Dalaï Lama a soupiré profondément et dit qu'il aimerait se rendre au Tibet. Pas sympa le Dalaï Lama. »
Kristin Cashore écrit à la main sur un cahier et avec un bon vieux stylo. Ce cahier la rend complètement folle tellement il est rempli d’annotations, de commentaires, de flèches, de références, voire même de réflexions personnelles disant à quel point ce qu’elle a écrit est nul !
Une fois qu’elle a écrit 30-40 pages, elle les retranscrit sur ordi à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocal.
Elle écrit presque tous les jours, y compris quand elle est en vacances. Elle peut y consacrer entre 2 heures et 12 heures par jour, en fonction de son inspiration ou ses occupations. Elle n’a donc pas de quotas de mots à écrire chaque jour. Si ça ne vient pas, elle ne se force pas, tout simplement.
Ce sont les personnages qui apparaissent d’abord dans son esprit, et plus précisément des discussions entre des personnages. Elle n’a alors qu’à écouter ce qu’ils se disent et ce qu’ils ressentent : colère, amour, désir, insécurité, désespoir. Elle se demande alors pourquoi, qu’est-ce qui leur est arrivé ? Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Pourquoi leur vie paraît-elle si difficile ? Les idées se rassemblent ensuite et en viennent à former une histoire.
Au final, pour récapituler : les personnages, leurs interactions et leurs sentiments viennent en premier. Ce n’est que dans un second temps que vient l’intrigue. Les détails de l’intrigue, les précisions ne viennent qu’en dernier. Parfois elle les suit, parfois ils passent à la trappe sans qu’elle ne s’en rende compte.
Il arrive souvent que ses personnages la surprennent, qu’elle se rende compte qu’elle avait tort à leur sujet.
Pour chercher l’inspiration, elle s’assoit le plus souvent dans un feuteuil et se contente de contempler le vide. Elle se parle à soi-même aussi. Il lui arrive également de se balader dans la rue avec une multitude de post-it et d’y être vu en train de rire bêtement, de crier triomphalement ou avec des airs renfrognés.
C’est aussi une grande angoissée. Elle craint que sa maison ne brûle et conserve ainsi ses notes et son ordi dans un coffre étanche. Elle s’inquiète également en permanence de la qualité de ses écrits, de ses personnages, de ses intrigues… « Je prends mon travail d’écrivain trop au sérieux. Je ne peux pas mon empêcher. Je l’aime tellement. L’écriture est une activité étrange mais de toute façon les humains sont bizarres. Etre écrivain est donc une manière très humaine de l’être… »
Place à ce qui a été dit à la conférence-dédicace :
Rouge, le tome 2 de la trilogie, vient pourtant chronologiquement avant Graceling. Kristin Cashore a révélé pourquoi. Quand elle s’est mise à écrire Graceling, elle était persuadée qu’il s’agissait du seul roman de Fantasy qu’elle n’écrirait jamais. Et pourtant, en cours d’écriture, le personnage de Rouge lui est venu. A un moment, dans Graceling, Po et Katsa discutent des origines du roi Leck et mentionnent un pays, un monde extraordinaire qui existait auparavant. Et c’est justement sur ce monde que l’envie lui est venue d’écrire. C’est pourquoi les faits relatés dans Rouge prennent place 35 ans avant ceux de Graceling.
L’agent de Kristin est en train d’œuvrer pour une éventuelle adaptation de la série au cinéma. Kristin déteste absolument toutes les adaptations mais apparemment c’est la norme aujourd’hui et elle préfère le laisser faire. En fait, elle est a avoué avoir la manie obsessionnelle de vouloir toujours tout contrôler. Quand elle écrit, elle est seule face à sa feuille, elle seule peut choisir les mots qu’elle utilisera. Pour un film c’est différent. Elle doute que le réalisateur voudra lui demander son avis pour quoi que ce soit et de toute façon ce n’est absolument pas son rôle. Elle préfère donc garder de la distance avec tout ça et se contentera de se réjouir au moment de la sortie du film, ou pas… Elle n’a donc évidemment aucun casting en tête. D’ailleurs le projet lui semble tellement lointain ou surréaliste que quand elle y songe elle voit plutôt des adaptations du genre Kung Fu comme on en fait à Hong Kong, une comédie musicale façon Broadway, voire même bollywoodienne !
C’est sans doute aussi dû au fait que Kristin Cashore met énormément de distance entre ses romans et elle. Elle ne s’imagine pas du tout vivant dans les Sept Royaumes ou côtoyant ses personnages. Elle ne rêve jamais de ses personnages. Quand elle finit d’écrire, elle n’y songe pas et se contente de se consacrer à sa vie. Même si elle l’a créé c’est un monde à part, et elle est ravie de voir les personnages rester juste entre eux. Par contre peut être que dans son subconscient il y a une connexion plus profonde entre ses personnages et elle, mais elle ne s’en rend pas vraiment compte.
Un grand merci aux éditions Orbit pour avoir organisé cette rencontre et un grand merci aussi à Deborah et Kristin pour leur disponibilité, leur sourire et leur gentillesse ! Nous avons passé un fabuleux moment, ponctué de nombreux rires et discussions passionnantes…