Mon avis :A à peine trente-deux ans, Nathasha Solomons est l’une des plus jolies plumes anglaises du moment. J’avais dévoré
Jack Rosenblum rêve en anglais et j’attendais beaucoup de ce second roman, inspiré de faits réels, ceux de la vie des grands-parents de l’auteur.
Le manoir de Tyneford est un nouveau coup de cœur. Joyeuse alchimie réussie entre
Les Vestiges du jour et
Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, ce livre nous entraine de l’ébouriffante Vienne à Tyneford, petit village perdu du Dorset à la fin des années 30 pour nous plonger au cœur de l’Histoire et ses tumultes. Remarquable et touchant, une merveilleuse lecture !
Nous faisons connaissance avec Elise, jeune juive viennoise en 1938. Fille d’une célèbre soprano, un père écrivain, une sœur virtuose à l’alto, Elise n’a pas vraiment de talent artistique mais ce n’est pas grave, elle ne s’en formalise pas. Elle a grandi dans un foyer heureux, ouvert sur le monde et aisé. Mais à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, tout est sur le point de changer. Cherchant à fuir l’Autriche et son antisémitisme grandissant, la famille Landau espère gagner les États-Unis. Dans un premier temps, Elise va être envoyée en sécurité, en Angleterre. Elle a trouvé une place de domestique au Manoir de Tyneford, une belle demeure du Dorset. Elle va devoir apprendre à se faire discrète, à baisser les yeux et servir avec respect ses « maitres », pas facile quand c’était elle que l’on servait la veille. Mais de jour en jour, elle s’attache à cette maison, aux petits gens qui l’animent et les Rivers, père et fils, propriétaires des lieux n’ont rien des odieux anglais qu’elle s’imaginait. Elise va grandir, s’ouvrir peu à peu aux autres et aimer, aimer follement. Mais la guerre est aux portes de l’Angleterre et le monde est sur le point de basculer dans l’horreur…
C’est toujours la même magie et le même bonheur quand on a la chance de tomber sur une petite pépite, sur un livre so british qui possède cette âme anglaise, cette atmosphère si particulière. Ici, tout est croqué avec élégance, finesse et ironie, jamais méchant, le ton est mordant tout simplement. Si vous avez aimé
Les Vestiges du jour, vous retrouverez avec bonheur cette peinture émouvante des domestiques, ces petites mains anonymes, qui œuvrent dans l’ombre, avec discrétion et zèle pour le prestige des grandes maisons. On a parfois la sensation d’assister à une symphonie, poétique et tragique, parfaitement rodée où chacun joue sa partition à la perfection. Mr Wrexham, majordome et Mrs Ellsworth, gouvernante, sont les chefs d’orchestre de Tyneford. Profondément attachés au Manoir et à la famille Rivers, ils sont vraiment l’âme de la demeure, mettant tout leur cœur dans les tâches domestiques, tentant désespérément aussi de maintenir les convenances même si le monde qu’ils connaissent (et ont toujours connu) est sur le point de sombrer. A eux deux, ils tentent de faire d’Elise une parfaite femme de chambre, en douceur, avec impatience mais ce n’est pas gagné, loin de là. Elise est une déracinée, parlant mal anglais, juive et issue d’une bonne famille. Elle n’appartient ni à leur monde, ni à celui des Rivers, elle est seule, à la croisée des mondes, inquiète pour ses parents restés en Autriche et qui peinent à obtenir un visa de sortie. Mais la magie de Tyneford opère sur la jeune femme, peu à peu, elle succombe aux charmes du lieu et à ses habitants. On voit Elise s’ouvrir, se lier avec les uns et les autres, grandir aussi. Loin des siens, elle n’a plus le choix, elle n’est plus le «
petit chou » de la famille, elle doit se battre et devenir elle-même, se découvrir. Les Rivers aussi sont à part. Kit, le fils, l’héritier à la fougue et l’entrain de la jeunesse, il croque la vie et tout autour de lui semble prendre vie et s’animer. Il entraine tout le monde, y compris Elise dans un tourbillon de gaité, de joie de vivre. Mr Rivers est l’un des personnages que j’ai le plus aimé. C’est un homme dans la force de l’âge, solitaire dans l’âme, il est chaleureux, à l’écoute de ceux qui l’entourent, c’est un homme pudique, tout en retenu mais qu’est-ce qu’il est touchant ! A Tyneford, Elise va aussi découvrir ce qu’est l’amour. Elle va aimer comme on aime à 20 ans, avec son cœur, avec son âme. Mais loin d’être cousue de fil blanc, l’histoire d’amour du livre est surprenante, tout en douceur et délicatesse, elle n’en est que plus belle d’ailleurs !
Un voyage dans le temps merveilleux où l’on se perd avec Elise sur les chemins de la mémoire. J’ai adoré être le temps de quelques pages à Tyneford, en savourer la magie et l’atmosphère, un enchantement !
Je vous laisse avec les premières lignes du roman
"Veuillez prendre soin de l’église et des maisons. Afin d’aider à gagner cette guerre menée pour la liberté, nous avons renoncé à nos foyers où beaucoup d’entre nous ont vécu pendant des générations. Un jour, nous reviendrons ici. Merci de traiter notre village avec égards."
Note que des villageois évacués avaient cloué avant leur départ sur la porte de l’église de Tyneford. Veille de Noël, 1941.