Mon avis:
Auteur mondialement connue récompensée par l’équivalent du Goncourt dans son pays d’origine, la Norvège, Anne B. Ragde était pour moi une découverte avec son roman en grande partie autobiographique.
A la mort de sa mère, elle choisit de nous en livrer un portrait doux amer. Entre fascination et incompréhension, cette femme haute en couleur a souvent été au cœur de ses romans précédents du fait de sa vie et de son tempérament hors du commun, mais de manière théâtralisée, détournée. Cette fois-ci, peut être du fait de son deuil, la romancière en parle ouvertement, sans filtre.
Au-delà du thème universel de la difficulté des relations mère-fille, en marge également des originalités de la biographie d’une mère célibataire pauvre mais avide de culture et de voyages dans les années 70 – 80 en Norvège, on découvre une femme dont on ne sait jamais trop s’il faut l’admirer ou la blâmer, s’il s’agit d’une mère courage ou d’un monstre d’égoïsme. Toute la poésie du roman tient à cette ambivalence des sentiments que l’auteur entretient pour elle, reine et tyran à la fois. De ce point de vue, c’est à mon sens une vraie réussite, et certains passages sont véritablement magnifiques.
En revanche, c’est un livre que j’ai mis du temps à lire, et que parfois je reprenais sans plaisir. J’y vois deux raisons, sans doute liées à mes goûts personnels.
Le premier frein à mon plaisir qui me soit apparu, c’est l’absence de rythme. Le récit alterne entre la fin de vie vraiment misérable de la mère, Birte, et des souvenirs soit de l’enfance de l’auteur, soit de la vie de femme de Birte après le départ de ses deux filles, dans un ordre totalement aléatoire. On revient plusieurs fois sur certains épisodes pourtant assez peu passionnants, d’autres sont évoqués trop rapidement alors qu’ils suscitent un intérêt certain (comme un périple en stop jusqu’à Istanbul, par exemple), d’autres encore sont extrêmement développés… On a le sentiment que l’auteur a écrit comme cela lui est venu, sans chercher par la suite à organiser ou à harmoniser. Il est vrai que d’un point de vue intellectuel c’est au final assez intéressant, puisque cela montre en fait comment un enfant construit au fil du temps l’image subjective de la vie de ses parents, en focalisant sur des épisodes particuliers, en interprétant a postériori certains faits, en découvrant certaines réalités une fois adulte, en cherchant à combler les passages qu’il connaît peu ou mal. Finalement, ce roman est moins un récit fidèle de la vie de sa mère qu’une évocation sur le poids de celle-ci dans le parcours de l’auteur. On peut se demander si un enfant est capable, en tout état de cause, de prendre assez de distance pour livrer un portrait juste de ses parents, mais on peut aussi, comme moi, regretter au final un arrière goût d’égocentrisme que nous laisse ce roman.
En effet, ce qui m’a le plus interpellée c’est l’absence totale de tendresse, sans que je puisse déterminer s’il s’agit d’une volonté de l’auteur ou non. A plusieurs reprises, elle cherche à rassurer sa mère sur le fait que son enfance n’ait pas été si terrible, elle met en avant ses qualités, elle se soucie de son bien être, a à cœur de la rendre heureuse, se rend compte de son ingratitude parfois… mais finalement, cette mère évoquée par le seul prisme de sa relation avec l’auteur – car il semble qu’elle ait été plus proche de sa fille cadette – nous reste étrangère, distante, dans ses moments de victoire comme dans son agonie. Peut être est-ce simplement un effet de la pudeur de l’auteur, peut-être est-ce dû au dépaysement spatiotemporel qui m’a privée de certains repères, mais j’ai trouvé le livre terriblement froid.
D’ailleurs, la façon dont est évoquée la fin de vie de Birte en est pour moi très révélatrice : cette veille femme mourante est expédiée dans un endroit horrible, mal équipé, où elle souffre longtemps avant de décéder. L’auteur est bien consciente de l’indignité de la situation et signale à la fin du livre, comme en passant, qu’elle et sa sœur se sont plaintes auprès du gouvernement après le décès de leur mère, mais alors même qu’elle raconte ses voyages dans des palaces à Dubaï avec excursions grandioses pour sa mère vivante, elle laisse sa mère mourante à son sort. On aurait pu penser qu’elle aurait payé pour des infirmières à domicile ou même pour un transfert dans une clinique décente. Si pour des raisons légales norvégiennes qui m’échappent cela n’avait pas été possible, on aurait pu s’attendre à ce qu’une bonne partie du livre soit traversée par un souffle d’indignation face à de telles conditions et qu’elle se démène pour les améliorer. Mais non. Ce qu’elle offre en cadeau d’adieu à sa mère, c’est finalement ce livre, qui célèbre moins la femme extraordinaire (ou même la mère imparfaite) que l’auteur elle-même, et sa réussite malgré une enfance chaotique.
En somme, je suis passée à côté de ce roman pourtant par moment très beau. Si la froideur de l’auteur m’a profondément dérangée, je reste curieuse de lire ses œuvres de fiction.