Mon avis :
« Ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants et puis… » est un recueil dans lequel Michael Cunningham revisite quelques-uns des plus célèbres contes de fée traditionnels.
Nous connaissons tous ces contes : Hansel et Gretel, Blanche-Neige, Jack et le haricot magique, La Belle et la bête, etc. Ce que nous savons moins, en revanche, c’est qu’il s’agit de versions souvent (très) édulcorées d’histoires bien plus anciennes.
En effet, l’origine des contes de fée se perd dans la nuit des temps. La plupart de ces récits ont été transmis oralement pendant des siècles, avant d’être fixés par écrit à partir du XVIIe s. Et à l’origine, ces histoires étaient bien plus cruelles : saviez-vous que les belles-sœurs de Cendrillon se mutilaient le pied pour pouvoir enfiler la pantoufle ? Que la belle-mère de Blanche-Neige était condamnée à danser jusqu’à ce que mort s’en suive dans des chaussures en métal chauffées au fer rouge ? Ou que la petite sirène, devenue humaine et trahie par son prince, se jetait dans la mer ? Les contes, intemporels, reflets de l’humanité, porteurs d’une morale et de valeurs universelles, avaient alors une visée éducative. Ils s’adressaient d’ailleurs aussi bien aux enfants qu’aux adultes, auxquels ils apportaient une véritable réflexion sur la vie.
Mais au cours du XXe s., ces contes, à force de réécriture (et d’adaptions Disney !), ont été expurgés d’une bonne partie de leur violence et de leur cruauté. Ils sont peu à peu devenus le symbole de la candeur, des récits dans lesquels tout finit toujours bien, où les méchants sont toujours punis, où la princesse trouve toujours son prince. Et ce faisant, ils ont perdu de leur puissance et failli à leur mission éducative : sensés accompagner l’enfant à travers ses peurs pour l’aider à grandir, il lui donne désormais une image déformée de la réalité. Je parle en connaissance de cause : biberonnée aux contes de fée version « Disney », accepter de ne pas pourvoir trouver mon prince charmant d’un simple coup de baguette magique a été pour moi un véritable travail de deuil ! Je me suis d’ailleurs promis de choisir avec soin les versions que je lirai à mes deux filles…
C’est donc probablement pour cette raison que j’ai apprécié le recueil de Michael Cunningham, qui a su renouer avec l’esprit originel des contes de fée. Tout en préservant l’universalité et l’intemporalité du propos, il a remis au goût du jour ces histoires, en les réinterrogeant avec beaucoup de finesse au regard de notre époque et de notre société. La sorcière d’Hansel et Gretel n’était-elle pas qu’une de ces personnes qui vieillissent seules, abandonnées par tous ? Une jeune fille sensée peut-elle vraiment croire qu’elle va transformer une bête féroce en époux aimant ? Et que penser de Jack, ce jeune ambitieux faisant fortune sur le dos des autres ?
Tous ces contes dépeignent donc avec beaucoup de psychologie et sans aucune complaisance les hommes, leurs travers, leur perversité et leurs plus sombres pensées. Mais sans fatalité non plus : pour Michael Cunningham, nous sommes toujours capables du pire comme du meilleur, et il reste encore de l’espoir. C’est sans doute pour cette raison que paradoxalement, le recueil se clôt sur l’idée que cette fin, « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant », est toujours possible.