« Madame X » ou l’histoire d’une jeune femme à l’apparence sûre d’elle, exigeante et cassante mais en profondeur nettement plus perdue, brisée et docile à un homme, Caleb Indigo.
Madame X reçoit chaque jour des fils à papa, des gosses de riches qui ont tout obtenu sans le moindre effort, qui charcute une grammaire basique et jure comme des charretiers à chaque phrase, des petits « trous du cul » sans le moindre charisme, peinant à se faire respecter de leur propre parent. Son rôle ? Les remodeler de façon à ce qu’ils deviennent des hommes respectables, qu’ils apprennent le sens des affaires et portent sur eux une prestance suffisante pour être acceptés dans cet univers sauvage et impitoyable afin qu’ils reprennent les affaires familiales quand leurs chers papas décideront de prendre leur retraite. Dans la lumière, Madame X est élégante, cultivée, d’une politesse sans égale, séduisante et joue de ses qualités pour réussir ses œuvres. Dans l’ombre, Madame X est sensible, aussi faible qu’un chaton, tenue en laisse par un homme qu’elle voudrait repousser mais dont la sensualité attise le moindre désir en elle, un homme qui l’a sauvée, un homme qui lui a offert une vie, un nom, Madame X, un homme puissant, un homme de pouvoir qui semble bien tenir à ce qui lui appartient, un homme qui lui rend visite chaque nuit, la faisant jouir malgré la soumission qu’il lui demande. Si Madame X présente une apparence sophistiquée et sûre d’elle, Madame X est surtout privée de sa liberté.
En voilà un personnage intéressant, Madame X d’après le portrait de Madame X de John Singer Sargent, un nom à la consonance anonyme et sensuelle. Mais qui est vraiment Madame X ? Une jeune femme travaillant pour un homme charismatique et mystérieux, un personnage au passé perdu dans une grave amnésie depuis six années, une identité oubliée, qui ne connaît que les murs de son gigantesque appartement, les livres de sa bibliothèque et qui du monde extérieur ne connaît que ce qu’elle voit au travers de sa fenêtre située au 13ème étage. Madame X croise de nombreux jeunes hommes chaque jour, mais n’a aucun ami, personne à qui parlé vraiment, ses relations se limitent à Caleb, l’homme qui chaque nuit s’immisce dans sa chambre, pour lui infliger chaque fois orgasme et soumission, toujours la même position, jamais de baisers, aucun droit de le caresser, Madame X subit et prend malgré tout du plaisir. Pourtant, le tumulte est omniprésent dans sa tête, les pensées se percutent, les sentiments se contredisent, elle voudrait lui dire non, cesser cette mascarade, se sentir plus libre, pourtant chaque fois elle cède, chaque fois la magie noire de Caleb opère à travers ses doigts, sa langue, son sexe… Il veut, il prend, il désire, il obtient. Une dualité permanente entre le corps et l’esprit, le dernier condamné à suivre les désirs et réactions physiologiques du premier.
Et puis, une rencontre atypique, un moment déstabilisant et Madame X descend de son piédestal, un jeune homme un peu trop curieux et perspicace et Madame X découvre l’extérieur, une rencontre fortuite dans les toilettes des hommes et ce sont toutes ses certitudes, ses croyances qui volent en éclat. Madame X prend conscience de bien des choses, affronte et conteste comme elle peut la domination et le pouvoir.
C’est une psychologie complexe, intrigante, antagoniste, que nous présente là ce personnage qui parfois paraîtra aussi fort que faible avec des décisions contestables, mais rappelons que le personnage évolue dans une cage dorée depuis six ans et que l’accès au monde extérieur doit être bien difficile à celui qui ne le connaît pas, à celui qui le découvre tel un enfant, émerveillé et effrayé, Madame X c’est un peu tout ça, une femme fatale parfois venimeuse mais surtout une enfant perdue dans l’inconnue…
La plume de l’auteure est très visuelle, elle expose son récit à travers le point de vue et les sentiments de Madame X uniquement, on s’imprègne aisément des sentiments de ce personnage, on ressent tout, on voit tout, d’où un melting pot de sentiments contradictoires ; de l’incompréhension, du bonheur, de la peur, de la sécurité, de la douleur, de la soif d’amour surtout. Jasinda Wilder use d’un style très ouvert, très franc, Madame X ne ment jamais dans ses pensées. C’est assez particulier de vivre par omission certains actes, cela crée des moments dérangeants, notamment avec Caleb et pourtant si ce personnage inquiète, il reste avant tout énigmatique et une seule question nous vient : Pourquoi ? On lit les pages avec avidités pour avoir des réponses à nos questions, mais aussi avec une certaine forme de curiosité malsaine face à des scènes érotiques ambiguës mais bien abordées et dosées par l’auteur.
En bref, un roman surprenant de bien des façons, plutôt original dans sa thématique, on est loin du BDSM, même si une forme de soumission existe, il n’y a pas d’objets ou d’autres choses, seulement une femme à l’identité perdue, façonnée par un homme puissant et mystérieux et dont deux ou trois rencontres vont suffisamment la déboussoler pour la faire douter, lui faire sortir les griffes et tenter d’obtenir bien plus qu’elle n’a de cet homme. Bien évidemment, c’était sans compter sur le personnage de Logan qui offre une entrée fracassante dans l’univers de la jeune femme. Une affaire à suivre !
Je remercie les éditions Michel Lafon et plus particulièrement Camille pour cette bien intrigante et déconcertante découverte !