Rencontre avec Marc Levy C’est dans le cadre intime et élégant de l’Hôtel de Sers que nous avons eu la chance, en compagnie d’une dizaine d’autres lecteurs, de rencontrer
Marc Levy à l’occasion de la sortie de son dernier roman,
Un sentiment plus fort que la peur. Deux heures de discussions passionnantes pour partir à la découverte de l’écrivain célèbre mais aussi de l’homme aux 14 titres et 25 millions d’exemplaires vendus à travers le monde.
L’idée de voir revenir Andrew Stilman dans un second opus était présente dès la fin de
Et si c’était à refaire, pour autant Marc Levy ne pensait pas le faire aussi tôt. Quant à savoir s’il sera le héros d’un troisième roman, c’est fort possible (tant mieux, c’est un personnage vraiment attachant).
Avant même d’avoir commencé à écrire le livre, il avait déjà le
titre en tête mais ce n’est pas toujours le cas loin de là ! Parfois, le titre vient en écrivant et s’impose comme une évidence mais il arrive aussi qu’une fois le manuscrit terminé, cela ne soit pas le cas et c’est alors très difficile d’en trouver un, ou encore qu’il y ait de nombreuses discussions avant de le trouver. Son premier roman par exemple s’appelait d’abord
Union Square mais cela ne plaisait pas à son agent. C’est en cherchant à le traduire en anglais qu’elle a eu l’idée de
If Only It Were True,
Et si c’était vrai ?. De la même manière,
Le Premier Jour et
La Première Nuit n’étaient à l’origine qu’un seul et unique livre. Mais quand son agent a vu que la moitié du roman comptait déjà 500 pages, elle lui a suggéré de le sortir en deux tomes, bien plus pratique à lire qu’un gros pavé de 1300 pages. Pour
Les Enfants de la Liberté, il avait le titre en tête avant même de devenir écrivain. Mais parfois, le titre est aussi un moyen de continuer à faire vivre un personnage auquel il est attaché. C’est le cas pour
L’ Étrange Voyage de monsieur Daldry, il n’avait pas forcément envie de quitter ce héros si attachant et à chaque fois qu’il entend le titre, il y pense.
En parlant de son
métier d’écrivain, Marc Levy l’a comparé à celui d’un
alpiniste ou d’un
marin. Quand il écrit, il ne peut pas prendre de recul sur ce qu’il est en train de faire, il est pleinement dans l’instant présent, ne pensant qu’à la prochaine page, certainement pas à l’arrivée. L’expérience lui permet simplement de ne pas « mourir » tout de suite. Mais comme il le dit, la comparaison reste anecdotique car il n’est pas «
dangereux de dévisser sur une page et on ne se noie pas dans l’encre ».
Il écrit au calme (ce qui n'est pas forcément évident à New York), écoutant parfois de la musique classique, du jazz ou des musiques de films mais toujours des musiques sans paroles pour ne pas être influencé par elles. Écrire est un acte bien trop
pudique pour être fait dans un café par exemple, ce serait comme si un «
chanteur faisait ses vocalises en public ». Il peut écrire pendant 15-16 heures de suite, surtout la nuit. Il rentre totalement dans l’histoire, il part en écriture et quitte le monde réel pour celui de l’imaginaire. Heureusement, sa femme est là pour l’obliger à sortir un peu de son bureau. Même (surtout) après 14 livres, il
doute toujours autant. Tous les jours, il se dit qu’il va arrêter, qu’il n’y arrive pas, il lui arrive même de jeter ses manuscrits (que sa femme remet le matin sur sa table). Pour lui, le seul autre métier aussi solitaire que celui d’écrivain est celui du
peintre dans son atelier confronté à une toile blanche, en devenir.
Ce qui lui plait le plus dans le métier d’écrivain, c’est le
voyage qu’il permet et la
liberté qu’il offre. Il n’existe aucune contrainte, ni de lieu, ni de budget, … Avec
Un Sentiment plus fort que la Peur, lui qui a le vertige peut escalader le Mont-Blanc ou se retrouver à Istanbul dans les années 50 (
L’Etrange Voyage de monsieur Daldry).
Même s’il n’est jamais suffisamment content pour dire « oui, ce passage est réussi », il n’a rien de l’écrivain maudit, hyper tourmenté.Il sent qu’arrivé à un certain point, il faut laisser le livre partir avant de commencer à le dégrader. Il va au bout de sa capacité du moment et il sait qu’alors, il ne peut pas faire mieux aujourd’hui. Il est surtout heureux à l’idée qu’il puisse emmener en Arctique des gens qu’il ne connait pas et qui prennent plaisir à lire ses livres.
L’écriture a été pour lui un moyen de lutter contre une
pudeur maladive. Il peut passer une semaine sans parler mais pas sans écouter les autres. Parfois, il a envie d’aborder un thème et quelque chose dans sa vie lui fait dire, que ça y est, là, c’est le bon moment. Depuis l’enfance, épris de
Liberté et amoureux de
Démocratie, il ne supporte que l’on y porte atteinte, la sienne comme celles des autres d’ailleurs.
Si ce sont les personnages qui nourrissent l’histoire, il fait toujours attention à l’ancrer dans la vérité de son époque. Pour cela, il fait de nombreuses recherches, s’attache à décrire fidèlement les lieux,… Mais il évite de décrire physiquement un personnage, ce qui est en challenge en soi. Il préfère laisser à ses lecteurs la liberté d’imaginer sa voix, son visage, de créer leur propre personnage. Mais il donne aussi à son personnage quelque chose qui le caractérise. Pour Andrew Stilman par exemple, c’est le Coca-Fernet, boisson argentine, pays de
Et si c’était à refaire ?, pays qui fascine aussi le journaliste et cette boisson fait intégralement partie de son caractère (nb : le Coca-Fernet, c’est imbuvable, hyper amer)
Mais L’humour est au cœur de ses romans comme il est au cœur de sa vie. Il redoute les gens qui se prennent au sérieux. C’est pour cela aussi qu’il fait des clins d’œil à ses amis, en les insérant dans ses histoires, sans les prévenir (c’est plus amusant ainsi), dans
Un Sentiment plus fort que la Peur, le directeur de l’hôpital de Chamonix, le très français et pas très aimable Professeur Hardouin est clairement une vanne à l’intention de son amie Emmanuelle Hardouin. Pour autant, il ne parle pas de ses romans avec eux et leur demande de ne pas les lire. Il lit autant de littérature française (il a beaucoup aimé le très bon
La Liste de mes Envies de Grégoire Delacourt, invité surprise et gros succès de la rentrée littéraire 2013 et dont le livre va être adapté au cinéma) qu’anglo-saxonne (il habite à côté d'une librairie d’ailleurs).
Un Sentiment plus fort que la Peur, un titre énigmatique qui pousse à nos interroger… Mais quel est donc ce sentiment ? Je vous laisse le soin de le découvrir en lisant le roman. Sans trop en dévoiler de l’intrigue, c’est un roman qui dénonce la
puissance des groupes d’influence et des pouvoirs parallèles qui agissent dans l‘ombre, manipulant et détruisant sans scrupules, seulement par profit. Pour construire son intrigue Marc Levy a consulté plus de 3500 pages de documents, archives,… Ce qui fait froid dans le dos dans tout cela, c’est que la base de l’histoire est vraie, les informations vérifiées, inquiétant et déroutant… Mais l’autre thème du livre, c’est aussi la manière dont on peut être
prisonnier d’un passé qui nous empêche d’aller de l’avant comme les héroïnes du roman, Liliane, Mathilde et Suzie, trois générations de femmes prises au cœur de la tourmente. En tout cas,
Un Sentiment plus fort que la Peur est un livre haletant, qui ne nous laisse aucun répit, de surprise en surprise, on passe un superbe moment de lecture !
Un grand merci à
Marc Levy, aux éditions Robert Laffont et Versilio pour ce très bon moment !