A l’occasion de la sortie de son premier roman aux éditions Bragelonne,
La Voie de la Colère, premier tome de la trilogie du
Livre et de l’Epée, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Antoine Rouaud, en compagnie de Valérie de SF Mag et Onirik.
Rappelons juste que ce premier roman sort simultanément en France, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, aux Pays Bas, au Brésil, et que d'autres traductions sont encore prévues...
Antoine Rouaud a 33 ans et vit à Nantes. Il est aujourd’hui concepteur-rédacteur artistique chez NRJ (pour qui il écrit essentiellement des publicités) et travaille sur plusieurs séries de feuilletons audio gratuites sur Audiodramax.com, qu’il gère avec deux amis et pour lesquelles il a déjà remporté deux prix. Ce sont surtout des fictions Space Opéra et de l’anticipation. Une autre façon de raconter des histoires...
Sa passion pour les mondes de l’imaginaire a toujours existé. Il a été bercé durant son enfance par les films de Spielberg et Lucas, Dante, Zemeckis,
les Goonies, Indiana Jones… Ado, il était un grand lecteur, beaucoup moins par la suite. Il a préféré se concentrer davantage sur ses propres histoires, plutôt que pester en lisant celles des autres parce qu’il aurait aimé avoir eu l’idée en premier ou parce qu’il se savait capable d’en faire autant. Il lisait alors avant tout de la Fantasy très classique, Tolkien, Morcoock, toute
la trilogie des Elfes Noirs de Salvatore, plus orientée vers l’univers de jeux de rôles… Il a eu aussi sa période SF et surtout sa période Stephen King qui l’a toujours fasciné par sa capacité à créer des background et à faire des personnages consistants. Il a ainsi lu
Shinning l’été avant de passer en 6e et l’a adoré et dévoré, à une période où il aurait adoré avoir des pouvoirs de télékinésie (d’où entre autres le Souffle dans
La Voie de la Colère). Au lycée, il a fait beaucoup de théâtre et a d’ailleurs passé un bac Art Dramatique. Il a donc lu beaucoup de pièces de théâtres, et notamment les classiques de Shakespeare. Un de ses rêves aurait été de jouer Hamlet (un héros fou, qui court à sa perte, avec l’idée de la vengeance, le théâtre dans le théâtre… un personnage qui l’a beaucoup marqué) ou Le Cid de Corneille. Il a été complètement nourri par toutes ces tragédies là. Des goûts littéraires très éclectiques donc. Ce n’est pas le genre qui lui importe mais ce que l’histoire va lui apporter.
Antoine a toujours écrit. A 14 ans, il avait déjà écrit une trilogie Space Opéra. Mais il n’a jamais approché d’éditeurs jusqu’à l’aventure de
la Voie de la Colère. C’était une période délicate personnellement et il sentait qu’il fallait qu’il se bouge et change les choses. Il a toujours aimé raconter des histoires, les mettre en scène. Jusqu’à ce qu’il se dise qu’il fallait qu’il se prouve à lui-même que son travail valait quelque chose. Et il y est allé au culot. Lors d’un passage de Stéphane Marsan à Nantes, à la fnac, pour présenter
Les Dragons de La Cité Rouge d’Erik Wietzel, il est allé le voir à la fin et lui a dit qu’il savait qu’ils n’acceptaient plus de manuscrits mais qu’il avait quand même un livre à lui proposer. Stéphane lui a demandé de le lui pitcher avant de lui donner sa carte et de lui demander de le lui envoyé par mail. Ce qu’il a fait. Et il a eu très vite un retour lui disant que le roman était très bon mais jeunesse et ils n’en faisaient pas à cette époque. Il lui a par contre demandé de leur écrire quelque chose de plus adulte. Et Antoine y a vu tout de suite un défi, en se disant que c’était le moment, qu’une porte était désormais ouverte et qu’il fallait absolument qu’il la franchisse. Et il s’est lancé. L’histoire de
La Voie de la Colère lui est venue très rapidement. Elle s’est développée au fur et à mesure de l’écriture. Certaines choses ont été modifiées, mais le gros de l’histoire, les personnages, sont nés le soir même de la lecture du mail de Stéphane Marsan. Tout s’est enchainé ensuite, jusqu’à la parution…
C’est donc son premier essai sérieux, mais pas sa première histoire. Quant au roman jeunesse, le projet n’est pas mort même s’il n’y pense pas vraiment dans l’immédiat. C’est le premier tome d’une trilogie dont l’idée lui est venue en 2002 lorsque sa première nièce est née. C’est une petite fille qui vit seule avec son père, pas trop aimée dans sa classe, et qui passe dans un monde magique dont sa mère en était la princesse avant de s’enfuir quand un sorcier fou a pris le pouvoir. Et la petite fille est là, avec l’un de ses amis, pour rétablir la situation et reprendre le pouvoir. C’est une histoire vraiment écrite dans l’émotion. Elle lui a longtemps trotté dans la tête et il s’est finalement décidé à l’écrire en 2009 pour pouvoir l’offrir à sa nièce quand elle aura 10 ans. Ce qu’il a fait. Et en lui offrant à la fois le roman et une belle histoire, puisque grâce à ce roman là il a pu signer un contrat.
Mais priorité aux deux suites de
la Voie de la Colère ! Il est attendu au tournant, le sait, et pas question de les bâcler. Il est conscient de tout ce qui lui arrive, en est super heureux, mais tient vraiment à prendre de la distance avec tout ça parce que l’important avant tout c’est de tenir sur la durée, et pour cela, il faut attendre les retours de ce premier roman et travailler d’arrache-pied sur la suite. Une manière aussi de se protéger pour éviter d’être noyé par tout le battage médiatique et d’être déçu à l’arrivée.
Antoine a également un regard très ouvert sur son travail et a conscience de l’aide indispensable d’un éditeur. L’auteur doit faire de son mieux pour écrire une belle histoire, mais il y a tout le travail nécessaire derrière pour rendre le texte encore meilleur. Parce qu’un premier jet n’est jamais parfait et un auteur n’a aucun intérêt à l’éditer sans corrections, sans relecture, sans prendre du recul, et surtout sans regard extérieur. Ce qui est le plus compliqué aussi. Quand on est auteur on se dit : mais non c’est compréhensible ça. Mais il faut savoir se dire : peut-être pas en fait… Il faut accepter les remarques et les retouches.
Mais au final peu de choses ont été modifiées, quelques formes de phrases, quelques passages, des créatures en moins (les Naagas à la base étaient des hommes lézards avant de redevenir humains. Une manière de se reconcentrer sur le côté humain de l’histoire et non pas rajouter un côté paillette juste pour en mettre plein la vue) mais l’histoire en elle-même n’a pas bougé. C’est donc juste la forme qui a été un peu revue, jamais le fond.
Ce qui lui importe avant tout c’est d’écrire des histoires humaines, universelles, et non leur mettre des cases, fantasy, SF… Pas question donc d’intégrer des codes pseudo-obligatoires sous prétexte que c’est de la Fantasy mais juste raconter une histoire en y rajoutant des épées, des dragons, de la magie… tout simplement parce que ça lui plait. Et c’est ce qu’il fait déjà dans ses feuilletons radio, toujours des histoires d'humains intégrées dans des univers particuliers mais qui font toujours appel à la culture populaire, à des références universelles, à des clichés. Parce qu’à partir du moment où le lecteur a ces références là, il peut simplement davantage rentrer dans l’histoire et savourer les centaines de pages qui arrivent. Dans
La Voie de la Colère par exemple, c’est en toute connaissance de cause qu’il a intégré des éléments historiques connus, l’Empire, la République, le monde médiéval, un décor visuel très proche de la Renaissance. Pleins d’éléments historiques mêlés pour créer au final un univers de Fantasy. Parce que ça aide le propos, ça apporte du sens aux questions qu’il soulève comme le rapport au pouvoir, comment créer une société qui soit plus égalitaire, est-ce seulement possible ? N’est-on pas toujours corrompu par le pouvoir qu’on détient ? A-t-on droit d’user de moyens abjects pour arriver à ses fins, même pour le bien commun ? (dixit
Le prince de Machiavel). Et c’est mis dans le domaine Fantasy pour être un divertissement. Ce n’est absolument pas une thèse ou une étude sociologique. Toutes les histoires de genre sont là aussi pour être le reflet d’une société ou des questions existentielles. Ça se passe pour la SF ou l’anticipation, où on essaye d’imaginer comment sera le futur. Et la Fantasy c’est pareil sauf qu’on se sert d’autres codes. De vrais questionnements mais du divertissement avant tout !
Antoine nous a donné également sa propre vision de
ses personnages.
Il y a d’abord
Dun Cadal Daermon qui, au début de l’histoire, est un vieux général, qui a encore assez de fierté malgré son état constant d’ébriété pour raconter son passé et dire qu’il était un grand homme. C’est un homme rongé par ce qu’il a vécu. Il avait des valeurs morales, des certitudes. C’est en fait un réac’, un type dont on se dit tout de suite que c’est un connard avant de voir au delà. Antoine voulait en faire quelqu’un d’antipathique mais qui a des raisons de l’être aussi. Il avait une vision idéalisée de l’Empire et il n’existait que pour défendre cet idéal. Jusqu’à ce qu’il découvre que les choses n’étaient pas aussi simples que ça. Il est profondément humain, et à tous les stades de l’histoire, autant dans la gloire que la déchéance. Dun Cadal est aussi en quelque sorte un parvenu, issu de la petite noblesse et qui a dû commettre de nombreuses mauvaises actions (en tant que Main de l’Empereur) pour arriver à son grade, actions qu’il regrette. On le voit dans son enseignement à Grenouille : il ne sait pas où est la différence entre chevalier et assassin, et dans les deux cas, il n’y aucun honneur à tuer. C’est le personnage qui est en fait l’archétype de la génération d’avant, une génération avec qui on n’est pas forcément d’accord, qui essaye de nous inculquer des valeurs, et avec qui s’est creusée une incompréhension. Il permet aussi d’envisager non seulement la Colère et la Vengeance mais aussi la Rédemption dans une sorte d’antithèse.
Il y a aussi
Viola, une jeune historienne, qui lance l’histoire puisqu’elle est à la recherche de Dun Cadal pour qu’il lui révèle l’emplacement de l’Epée de l’Empereur, une Epée sacrée. Elle paraît toujours en retrait alors que c’est elle qui lance tout. Elle est toute jeune, comme la République, entre l’adolescence et l’âge adulte, avec un sacré caractère. Un caractère bien plus prononcé qu’elle ne le montre. Un personnage qu’Antoine aime beaucoup et qu’on retrouvera par la suite, surtout dans le troisième volet. Elle sera amenée à faire de grandes choses…
Grenouille enfin. Il a adoré écrire ses dialogues. C’est un orphelin qui vit dans les marais, on ne sait pas trop comment il est arrivé là et qui il est. Et il sauve Dun Cadal. Très rapidement, il va essayer de le pousser à l’entraîner pour qu’il fasse de lui un chevalier. Et il a une certitude inébranlable : il sera le meilleur des chevaliers, le plus grand. Pas parce qu’il est plus doué que les autres, mais tout simplement parce qu’il le veut vraiment et qu’il est prêt à s’épuiser à l’entrainement. Et c’est aussi ce qu'il lui a paru intéressant : mettre en avant un des personnages principaux qui n’est pas un Luke Skywalker, ses dons ne sont pas innés, il a juste travaillé inlassablement. Et il parvient à devenir pratiquement ce qu’il veut grâce à ce travail. Pratiquement, parce qu’on ne peut s’empêcher de s’interroger : est-ce vraiment le meilleur des chevaliers ? Fait-il les bons choix ? D’autant qu’il est en colère tout le temps, dur, sûr de lui. Il a donc un côté antipathique mais on a envie d’en savoir plus, de savoir ce qui le pousse à être comme ça. Et il y a enfin cette relation très étrange qu’il noue avec Dun Cadal, une relation père/fils très délicate à gérer et en même temps excitante, parce qu’elle est tout le temps sous-jacente et c’est comme s’ils étaient les deux seuls personnes à ne pas la voir, à ne pas s’en rendre compte. Ils sont incapables de le ressentir, de le dire. Il fallait aussi garder cette touche d’enfance quand il avait 14 ans mais en montrant qu’il avait bien grandi. Un véritable pari autour de son personnage.
L’intrigue générale de la série est prête même si elle pourra être amenée à être modifiée au fur et à mesure de l’écriture. Le tome 1 est en tout cas un vrai tome d’introduction qui n’a pas révélé tous les mystères et les secrets des personnages, et ce n’est pas un hasard si certains apparaissent à peine. D’ailleurs le second tome sera introduit par des personnages qu’on n’a pas vus encore. Alors que dans le premier volet, l’histoire se déroule sur près de vingt ans, dans le second tome on ne sera que dans une histoire immédiate, avant de revenir peut-être sur le temps long dans le dernier opus.
Une intrigue générale qui permet des questionnements sur le pouvoir, la corruption, le destin. Le roman parle clairement d’une destinée, des choix qui doivent être faits et la manière dont on doit être fier ou pas de sa vie. Ce qui se retrouve déjà dans le premier tome. Le rapport aussi à la religion, en corrélation avec l’idée de destin et de choix personnel. Est-ce que le destin est écrit ou reste-t-il à écrire ? Doit-on croire en un Livre qui vient d’on ne sait pas où et qui prétend guider le destin de tous ? Un questionnement aussi sur la Foi donc, par exemple avec le personnage de Dun Cadal, très croyant, et dont la Foi l’a aidé à grandir… Sans non plus que toutes ces interrogations prennent trop de place car l’histoire doit rester avant tout divertissante et elles ne doivent pas casser le rythme. Il s’est donc parfois empêché volontairement d’approfondir certaines réflexions pour ne pas nuire à la lecture.
Il espère en tout cas ne pas avoir fait seulement un roman de divertissement, de Fantasy, mais avoir réussi à servir totalement un propos, et à le mettre en valeur par la forme narrative et par des personnages qui pourraient faire peur au départ mais qui nous donne envie d’en savoir plus. De montrer que ceux qui nous sont présentés comme des méchants, n’en sont pas vraiment, et que tout dépend de quel point de vue on se place.
En tout cas, pour moi, c’est un pari réussi ! J’ai adoré le roman et j’y ai tout à fait retrouvé à la fois ce côté divertissement et ce côté plus profond qui soulève des questionnements. Une superbe histoire humaine !
Pour la chronique du roman. Un énorme merci à Antoine Rouaud pour le temps qu’il nous a consacré et cette interview passionnante. Un énorme merci également à Bragelonne, et notamment à Marie qui a permis cette rencontre.